Nourri de débats politiques et de scènes de foule filmées à la volée, ce documentaire politique sur la guerre du Viêt Nam est un petit bijou du cinéma direct.
La magie de Youtube: certains films peuvent errer comme des âmes en peine au milieu de playlists aléatoires et de commentaires indifférents, pour un jour être repérés par un petit malin qui revendiquera la paternité de la découverte. La pépite du jour, c’est un documentaire réalisé par Martin Scorsese et ses camarades de cours lorsque le jeune Marty, alors en pleine force de l’âge, étudiait à l’université de New-York en 1970.
Rien d’inédit, ne vous affolez pas: le film était en ligne depuis des années sans que personne ne s’en soit rendu compte. Maintenant qu’il est sorti de l’ombre, parlons-en un peu: Street Scenes -un titre qui dit déjà tout l’amour du réalisateur pour les artères urbaines- a la trempe du cinéma-direct, sa fougue et parfois sa maladresse. On y suit sur plus d’une heure les manifestations de la jeunesse américaine, effarée par les horreurs de la guerre du Viêt Nam, qui réclame l’arrêt des combats. Pacifistes, ces rassemblements tournent parfois à la violence: armée de micros et de caméras légères, l’équipe saisit alors au vol des bribes de commentaires au milieu de la foule en liesse.
Il y a aussi un peu de Jean Rouch dans cette façon de capter à l’improviste des discussions philosophiques et politiques -notamment dans cette scène magnifique scène où Scorsese, Harvey Keitel, Jay Cocks, Verna Bloom et bien d’autres, étendus dans leur salon, se font passer le micro pour réaliser un bilan rétrospectif des événements, comme si la révolution encore en cours pouvait faire l’objet d’une théorisation…D’après The Film Stage qui cite les propos du réalisateur, Scorsese aurait gardé un goût amer du film, très mal reçu par les participants: « Ils l’ont détesté, ne l’ont pas trouvé assez engagé. Ils se sentaient trahis, ne reconnaissaient pas ce qu’ils avaient vécu. Pourtant il me semble que le film était honnête : j’ai montré la triste réalité, la colère, la frustration, l’irresponsabilité, le sentiment général d’impuissance. Cela ne concernait pas les Weathermen les vrais radicaux, mais l’étudiant moyen, les gauchistes du week-end ». Vous l’aurez compris, à l’engagement politique littéral, Marty préférera en passer par la fiction, qui en dit parfois tout aussi long sur l’Amérique et ses travers.
Image: Capture d’écran