Dans Stella, Sylvie Verheyde racontait ce sentiment qu’avait sa jeune protagoniste d’être décalée. Arrivant en sixième dans un lycée parisien huppé alors qu’elle venait d’un milieu plus modeste (ses parents travaillent dans un café ouvrier à la périphérie de Paris), la jeune fille apprenait les codes sociaux hyper réglés de la bourgeoisie. Dans Stella est amoureuse, quelques années après, on retrouve Stella (la magnétique Flavie Delangle, qui reprend le rôle autrefois tenu par Léora Barbara) toujours en train de chercher sa place. Dans le café de ses parents, l’atmosphère nocturne et enfumée devient étouffante, entre son père (parfait Benjamin Biolay) qui se noie dans l’alcool et voit d’autres femmes, et sa mère (touchante Marina Foïs) qui doit gérer seule le café, se consolant dans les bras d’un type que Stella trouve bien lourd.
Immergeant la jeune fille, qui a l’âge de passer le bac, dans l’agitation du bar, Sylvie Verheyde recrée avec tendresse ce Paris des cafés populaires où elle-même a grandi, et montre comment progressivement Stella trouve sa respiration ailleurs, dans d’autres nuits. C’est dans la légendaire boîte Les Bains Douches, épicentre de la fête parisienne dans les années 1980, qu’elle va s’émanciper et tomber amoureuse d’un danseur au charisme fou, André. La cinéaste filme la boîte un peu avant les années sida, à la façon d’un îlot halluciné de lumières et de sons qu’elle sublime dans des plans-séquences d’une légèreté rêveuse. C’est ici comme un fantasme qu’elle dépeint sans nostalgie, duquel exulte même une énergie contemporaine puisqu’on voit des danses, comme le voguing, qui enflamment encore les dancefloors aujourd’hui.
Le légendaire côté sélect des Bains est ici approché comme un univers de rites de passage : il faut avoir tel look, prendre telle attitude pour prétendre pouvoir faire partie des différents clans qui s’y rencontrent. Pétrie de tous ses complexes sociaux, Stella tente de s’imposer, de garder la face lorsqu’André lui parle musique dans des termes qu’elle ne maîtrise pas. Autant sa voix off est exaltée comme dans une romance emportée façon La Boum, autant elle adopte souvent une moue distante, glacée, comme sur les pochettes de disques synth-wave élégantes et mystérieuses qu’écoutaient les « jeunes gens modernes » qui peuplaient les Bains. C’est alors dans ce côté drôlement éparpillé que Stella est amoureuse trouve sa justesse pour raconter l’adolescence.
Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, KMBO (1 h 50), sortie le 14 décembre
Image (c) Atelier de Production