Los Angeles, en pleine nuit. Les rues sont encore animées, les noms des magasins clignotent et un néon rouge « Jesus saves me » vient rappeler aux âmes perdues de l’Amérique l’existence de Dieu. Une voiture roule en direction d’un poste de police. À l’intérieur, deux policiers blancs viennent d’arrêter Mu-Mu, un militant Black Panther qui manifestait dans les alentours. Dans la précipitation, ils attachent ses menottes à celles de Sweetback, un gigolo accusé à tort d’un crime traumatisant pour la communauté afro-américaine. Sans crier gare, les flics garent la voiture sur une route excentrée — à l’abri des regards, où ils peuvent s’affranchir de toute morale, ils enlèvent à Sweetback ses menottes et rouent Mu-Mu de coups.
La caméra se tourne alors légèrement vers Sweetback. Le son sourd des matraques annonce une montée en pression, confirmée par un montage convulsif : la séquence alterne rapidement cadrages serrés sur l’agression et gros plans sur les menottes détachées. Sweetback, d’habitude passif et inoffensif, est désarçonné par tant de violence gratuite. Un puissant regard-caméra allume la braise de sa colère. Il s’empare des menottes qui pendent à son poignet pour attaquer par derrière les policiers, qu’il frappe jusqu’à les rendre inconscients, et rendre sa liberté à Mu-Mu.
Sous la lueur des gyrophares rouges de la voiture de police, ses mains ensanglantées étincellent. C’est un point de non retour dans le film, le début d’une cavale folle, étirée et psyché qui marque la fin de sa docilité. La sienne et, par extension, celle de tous les membres de la communauté afro-américaine. Cette auto-libération, on la retrouve plus largement au fondement de la blaxploitation, né au début des années 1970 sous l’impulsion d’un film aussi radical et décomplexé que celui de Melvin Van Peebles. Lasse de voir les personnages de Noirs réduits à des seconds rôles qui reflèteraient leur supposée faiblesse, la blaxploitation réunit à l’époque une armée de réalisateurs, producteurs, acteurs noirs américains pour replacer la communauté au centre de récits épiques, fantastiques, mythiques.
Le cinéaste Melvin Van Peebles est décédé
Sorti discrètement dans un cinéma de Détroit spécialisé les séries Z en 1971, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song est peut-être le film qui symbolise le plus la force et pugnacité de ce mouvement cinématographique révolutionnaire. À la surprise générale, il engrangera près de 10 millions de dollars de recettes aux États-Unis – un record à l’époque pour un film indépendant. Les deux bad ass que sont Sweetback et Peebles se réapproprient les armes de l’oppresseur (une paire de menottes ou une caméra). Et forcément, il y a de la casse.
Sweet Sweetback’s Baadasssss Song de Melvin Van Peebles, à voir sur la Cinetek