C’est l’une des scènes de mariage les plus sinistres de l’histoire du cinéma. Quand L’Atalante débute, la messe est dite, la cérémonie est déjà terminée. Les jeunes époux sortent de l’église, isolés par le cadre, suivis de loin par le cortège des villageois en habits noirs. La marche nuptiale ressemble à une marche funèbre. « Allons la mère, allons, vous plaignez pas, elle est tombée sur un beau gars. Et puis, elle reviendra bien un jour », lance un barbu. « Quand je pense qu’elle n’avait jamais quitté le village », gémit la mère.
En épousant Jean le marinier (Jean Dasté), Juliette (Dita Parlo) quitte les siens pour l’aventure d’une vie au fil de l’eau, à bord de la péniche L’Atalante. La mise en scène et le découpage accompagnent ce passage : à l’arrière, les villageois piétinent, râlent et médisent ; à l’avant, sur le quai, le père Jules (Michel Simon) et son mousse (Louis Lefebvre) préparent l’arrivée du « patron » et de la « patronne ». Ça pourrait être une libération, mais déjà les mauvais présages s’amoncellent. Le père Jules tire sur son accordéon avec un entrain contrefait. Le mousse fiche le bouquet de fleurs à l’eau d’un coup de pied. On embarque Juliette en la juchant sur un mât coulissant, sans lui laisser le temps de dire adieu à sa mère.
Tout semble brusque, asynchrone, dissonant – une farce de protocole. Puis L’Atalante quitte la rive. Sur le pont, Jean tente d’embrasser Juliette, qui s’évanouit. Les chats du père Jules se jettent sur eux pour les griffer. Elle s’échappe un instant – sublime travelling dans le sens inverse du courant, vers l’impossible retour – avant de succomber entre les bras de son homme. Dans le chef-d’œuvre de Jean Vigo, le monde est un marécage, le désir, un courant violent… et l’amour, un insondable miracle.
L’Atalante de Jean Vigo (Malavida, 1 h 28), ressortie le 29 septembre