Connu pour ses innovations dans le domaine des effets spéciaux (Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, The Walk), Robert Zemeckis est aussi un immense conteur, capable d’emballer dans un écrin de grand spectacle les histoires intimes les plus bouleversantes (Contact, Seul au monde, Forrest Gump). Son nouveau film, Bienvenue à Marwen (sortie le 2 janvier), narre l’histoire d’un homme fragile (Steve Carell), gravement blessé, qui se soigne en photographiant des poupées avec lesquelles il fantasme une existence mouvementée – dans laquelle Zemeckis, bien sûr, se réjouit de nous plonger. Rencontre.
Vous innovez encore, en mélangeant scènes dans le monde réel et scènes fantasmées par le héros, en images de synthèse.
C’était l’enjeu principal dès le début du projet. On voulait que les spectateurs puissent voir les vrais acteurs et les poupées animées de la même manière, et que les allers-retours entre les deux univers soient fluides, ne posent pas question. Pour réussir ça, il était important d’avoir des poupées capables d’afficher des émotions humaines. Du coup, on a inventé une technique qui est, je crois, nouvelle. On a fait beaucoup d’essais, et on a décidé de tenter. Je crois qu’on s’en est pas mal sortis.
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C’est quoi, cette technique ?
Hé bien… Vous connaissez un peu le principe de la motion capture ? Nous avons filmé les acteurs en studio, équipés de capteurs de mouvements, puis nous avons combiné cette technique avec l’image réelle des visages des acteurs, filmés avec une caméra numérique classique. Nous avons fondu les deux images ensemble virtuellement. Du coup, ce sont de vrais yeux, de vraies bouches, qui sont intégrées aux visages des poupées, de façon à préserver le rendu des émotions.
Dans quel ordre avez-vous tourné les scènes de ces deux mondes du film ? D’un point de vue de metteur en scène, à quel point était-ce deux exercices différents ?
Nous avons tourné d’abord toutes les scènes en prises de vue et décors réels, puis toutes les scènes de poupées en motion capture, en studio. Pour les prises de vue réelles les acteurs devaient parfois donner la réplique à des poupées qui n’existaient pas encore, mais tout s’est bien passé. Pour moi, c’est exactement le même métier dans les deux configurations. Mais pour les acteurs, c’est très diffèrent, parce que pour les séquences de poupées ils n’ont ni costumes ni décor pour les aider. Ils doivent se tenir sur des marques au sol, on leur demande de dire leur texte en regardant un petit bout de scotch gris collé quelque part. Mais c’est aussi agréable pour eux car ça va vite, les prises s’enchainent, c’est un jeu pur, dépouillé des obligations, il n’y a pas de longues phases d’attente comme sur un tournage traditionnel.
Sur quel modèle vous êtes-vous basé pour les poupées que Mark, le héros, collectionne avant qu’elles ne prennent vie ? On dirait des Barbies.
Ce ne sont pas des Barbies : ce sont des « fashion dolls », des poupées un peu plus sophistiquées, plus détaillées que les Barbies, pour les vrais connaisseurs – et Mark Hogancamp en est un !
D’un point de vue de mise en scène, comment avez-vous abordé la différence d’échelle entre le monde des humains et celui des poupées, qui cohabitent parfois dans un même plan ?
Ah ça c’était vraiment la partie marrante : réussir à faire se rencontrer les deux mondes. On a tout simplement été attentifs à respecter les échelles respectives. Les plans avec les poupées devaient avoir le rendu que l’on a quand on filme un objet miniature, et les plans des humains être à échelle « normale ». Le plus difficile était de décider avec quelle optique filmer les scènes en motion capture pour obtenir le rendu « poupées ».
Et donc, vous avez fait comment ?
On a utilisé des longues focales, avec peu de profondeur de champ, pour donner presque l’impression d’optiques macro.
Devant vos films on se demande quel genre d’enfant vous étiez… un geek ?
S’il y avait des geeks à l’époque, j’imagine que j’en étais un oui !
De quel genre ? Vous vouliez être inventeur, ingénieur ?
Non, je voulais être une rock star ! Mon premier amour, ça a été le rock, et puis ensuite, très jeune, je suis tombé amoureux du cinéma. Et quand j’étais vraiment petit, j’adorais les marionnettes.
Comment envisagez-vous l’écriture d’un film ? Je crois que c’est une étape que vous appréciez beaucoup.
L’écriture, c’est tout ! Mais au-delà du scénario, j’ai aussi le sentiment d’écrire le film pendant le tournage, avec la caméra, les acteurs. Et le montage, c’est aussi de l’écriture, de la grammaire. Faire un film, c’est un grand processus d’écriture, à différentes facettes. D’ailleurs vous savez je ne fais pas que des films que j’écris moi-même, et j’aime tout autant réaliser des films écrits par d’autres.
Quelle est votre étape préférée dans la fabrication d’un film ?
C’est le montage. Je n’aime pas le tournage, le tournage c’est de la survie, c’est dément. Par contre j’adore l’idée que cette énorme armée du chaos qu’est le tournage laisse au montage la place à juste moi, mon monteur et le film. Que cette énorme machine devienne, dans l’intimité de la salle de montage, un petit film personnel.
Comme souvent dans vos films, vous vous intéressez ici à un anti-héros, un homme fragile, affaibli, émotif. Le cinéma hollywoodien nous habitue plutôt aux personnages d’hommes forts…
Dans cette histoire en particulier, j’aime l’idée que Mark est un homme sensible et brisé mais qui a cet alter égo fort et conquérant dans son monde fantasmé de poupées. J’aime la façon dont il utilise son art pour se guérir. Je n’ai jamais vraiment réfléchi à ce que vous dites sur la sensibilité de mes personnages masculins mais ce que je sais c’est que les histoires les plus captivantes sont celles de personnes qui accomplissent un voyage, qui progressent d’une étape de leur vie à une autre.
Quel genre de films aimez-vous ?
Mes films préférés sont ceux qui se concentrent sur les personnages et leur histoire, ce sont eux qui vous connectent émotionnellement au film. Les gens pensent toujours que je suis un mec des effets spéciaux, mais la plupart des films à effets spéciaux me déplaisent parce qu’ils les utilisent aux dépens de l’histoire et des personnages.
Vous êtes comme Mark, qui insiste à un moment dans le film sur l’essence de ses poupées…
Exactement. C’est cette essence des personnages qui est la plus importante et qui me fait choisir tel ou tel projet de film.
Vos fans apprécieront la référence à Retour vers le futur que vous glissez dans le film.
Haha, j’étais obligé ! Il y a une machine à remonter le temps dans le scénario, comment aurais-je pu faire autrement ?
Vous glissez aussi une référence à La mort vous va si bien, votre film de sorcières sorti en 1992. J’avais 8 ans quand il est sorti, il m’a un peu traumatisée…
Vous étiez un peu trop jeune pour le voir !
Vous pensez qu’aujourd’hui il serait toujours possible de faire un tel film d’horreur pour enfants ?
Je ne sais pas si je peux répondre parce que beaucoup de parents pensent que les deux films pour enfants que j’ai faits ces quinze dernières années, Le Pôle Express (2004) et Le Drôle de Noël de Scrooge (2009), ne sont pas du tout appropriés pour des enfants… Mais moi je crois fortement dans la tradition de Walt Disney : il faisait des films d’enfants pour adultes. Je pense que les enfants comprennent tout, et que c’est bien de les confronter à leurs peurs, pour qu’ils les acceptent. Comme la peur d’être dévorés.
Vous travaillez sur une adaptation des Sorcières de Roald Dahl ?
Oui, encore une histoire pour enfants complexe et pleine de nuances, c’est bien pour ça qu’elle m’attire. Elle est gorgée d’ingrédients merveilleux comme la tragédie, le chagrin, la mort, l’amour.
Vous savez que la sorcière est aussi une figure féministe ?
Bien sûr ! C’est pour ça que les sorcières ont été créées, ça a toujours été en lien avec le statut des femmes dans la société. Dans la fiction, les sorcières sont les personnages les plus diaboliques car elles sont des figures féminines. On est habitués à ce que la violence et la peur viennent des hommes, quand une femme est le « méchant » du film, c’est terrifiant et passionnant.
« Bienvenue à Marwen » de Robert Zemeckis
Universal Pictures International France (1h56)
Sortie le 2 janvier