« Souvenirs d’en France », film fondateur et extravagant d’André Téchiné

Dans la France provinciale des années 1930, une fratrie bourgeoise à la tête d’une usine voit son monde bouleversé par l’arrivée de Berthe (impériale Jeanne Moreau), blanchisseuse modeste qui, épousant l’un des deux frères, va peu à peu prendre les rênes de l’héritage familial… Invisible depuis sa sortie en 1975, Souvenirs d’en France, deuxième film


Dans la France provinciale des années 1930, une fratrie bourgeoise à la tête d’une usine voit son monde bouleversé par l’arrivée de Berthe (impériale Jeanne Moreau), blanchisseuse modeste qui, épousant l’un des deux frères, va peu à peu prendre les rênes de l’héritage familial… Invisible depuis sa sortie en 1975, Souvenirs d’en France, deuxième film d’André Techiné, revient en salles. Cette fresque détonante contenait déjà, en germe, le caractère profondément romanesque d’une œuvre aussi discrète qu’indispensable dans le cinéma français.

Après une expérience de critique
aux Cahiers du cinéma, André Téchiné fait ses premiers pas de cinéaste en 1969
avec Paulina s’en va, un exercice de style ascétique au budget minimal.
C’est pourtant Souvenirs d’en France, son film suivant, qui semble
fondateur dans la première partie de sa carrière, fascinante et assez méconnue,
qui le verra s’essayer à des variations personnelles autour de genres balisés
allant du thriller hitchcockien (Barocco) au film d’époque (Les Sœurs
Brontë
). Si Souvenirs d’en France est si primordial,
c’est que celui-là recoupe tous les genres dans une même centrifugeuse baroque.

Téchiné pousse ici le romanesque à des sommets : connu pour sa direction d’acteurs aussi intransigeante que passionnée, il sait tourner en dérision l’aura de ses comédiens (Marie-France Pisier, mémorable en snob étriquée) et, par-dessus la partition exaltée de Philippe Sarde, il théâtralise dialogues et situations. Le résultat, quelque part entre Claude Chabrol et Luis Buñuel, fait valdinguer les petites mœurs avec un sens de l’absurde et de la digression étonnants. Souvenirs d’en France est comme un film politique qui aurait emprunté des chemins de traverse, réinterprétant la lutte des classes à l’aune d’un filtre quasi surréaliste.

Le récit naturaliste mue ainsi progressivement en fresque fantaisiste sur l’histoire de France d’avant et d’après-guerre, dont Berthe devient une super-héroïne, à la fois figure de la Résistance et brillante femme d’affaires. On sent l’admiration du cinéaste pour Jeanne Moreau, qu’il affuble, dans les derniers instants du film, d’une perruque blonde invoquant les fantômes d’un cinéma hollywoodien qui transfigurait aussi ses récits par l’artifice. Dans l’écrin de couleurs chatoyantes signées du grand chef opérateur Bruno Nuytten, Souvenirs d’en France est une belle façon de se plonger dans les débuts flamboyants d’André Téchiné.

Souvenirs d’en France

Carlotta Films (1h35)

Ressortie le 9 octobre