Reprise des tournages : comment les productions s’adaptent à la crise sanitaire ?

Après l’annonce du déconfinement et celle de la réouverture des salles, prévue pour le 22 juin, la reprise des tournages de films se fait progressivement, mais pose de nombreuses questions. Comment les équipes s’organisent-elles face à cette crise sanitaire mondiale ? Quelles pourraient être les conséquences sur la liberté artistique ? On fait le point


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Après l’annonce du déconfinement et celle de la réouverture des salles, prévue pour le 22 juin, la reprise des tournages de films se fait progressivement, mais pose de nombreuses questions. Comment les équipes s’organisent-elles face à cette crise sanitaire mondiale ? Quelles pourraient être les conséquences sur la liberté artistique ? On fait le point sur les bouleversements possibles qui vont s’opérer dans les mois à venir. 

Dans les rues escarpées de Montmartre, pendant le confinement, les habitants du quartier se sont retrouvés plongés bien malgré eux dans l’atmosphère sinistre de l’Occupation. De glaçantes affiches de propagande anti-communistes et antisémites ont été placardées sur les murs, de vieilles boutiques closes (celle d’un magasin de corsets, d’un apothicaire…) ont fait leur apparition. 

Ce sont les décors abandonnés du film Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé, dont le tournage avait commencé avant l’annonce du confinement, et qui a du être brusquement interrompu en raison des mesures sanitaires mises en place par le gouvernement le 17 mars dernier. Idem pour le tournage d’Envole-moi de Christophe Barratier (Les Choristes), arrêté à 21 jours du bouclage. D’autres, n’ayant pas démarré, ont du être suspendus sine die. C’est le cas de la première série de Valérie Donzelli, qui nous avait confié en interview sa frustration, mais aussi celui de Tout s’est bien passé de François Ozon, avec Sophie Marceau. 

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Dans cette chronologie bouleversée, certains producteurs ont entrepris dès l’annonce du déconfinement la reprise de leurs tournages. Mais dans quelles conditions ? Le 26 mai dernier, le Comité Central d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique a publié un guide (consultable ici) préconisant notamment le port de masques, le recours à des tests mais aussi la modification des scénarios en cas de scènes impliquant des rapprochements physiques de moins d’un mètre, et le choix de tournages en studios plutôt qu’en décors naturels. « Le guide, c’est une boîte à outils réglementaire qui n’impose rien de façon coercitive, mais qui incite fortement. Donc c’est à chaque producteur de s’en emparer », nous a expliqué Thomas Santucci, président de l’ADP (l’Association des Directeurs de Production) et Directeur de production du film Compagnons de François Favrat (Le Rôle de sa vie, Boomerang), avec Pio Marmaï et Agnès Jaoui, dont le tournage a été arrêté au bout d’une semaine et devrait reprendre, si tout se passe bien, le 22 juin à Nantes. 

Comment appliquer ces règles sans entraver la liberté artistique ? Pour Compagnons, chaque  situation est étudiée « au cas par cas » : « On identifie déjà des décors qui sont possibles et d’autres qui ne le sont pas. Par exemple, il y a quelques séquences qui se passent dans une gare SNCF, dont on attend encore la réponse pour savoir si elle nous accorde l’autorisation. Si c’est le cas, il faudra se demander quel est le plan de prévention qu’on devra mettre en place pour pouvoir tourner dans cette gare. Si on voit que ce n’est pas possible, on se demandera avec le réalisateur ce qu’on fait : comment on réécrit cette séquence ? est-ce qu’on la supprime ou est-ce qu’on la réadapte ? »

Quid des scènes de proximité physique entre les personnages ? « On n’a pas vraiment de scène d’intimité. Il y a des scènes de rapprochements. Et dans la mesure où les comédiens sont d’accord pour les tourner, on peut éventuellement faire d’autres découpages. Plutôt que de voir un plan où on voit deux personnes se serrer dans les bras, on tournera des plans beaucoup plus rapprochés qui nous permettent de « tricher ». Puis, il y a d’autres cas de figure où le réalisateur et le producteur estiment que ce serait trop trahir le film que d’appliquer ces contournements. On en appelle alors à la responsabilité des comédiens. »

Pour Thomas Santucci, il faut donc avant tout instaurer un climat de confiance dans l’équipe, mais aussi consulter le plus possible des professionnels de la santé. Lui a choisi de faire appel à un prestataire extérieur : la société Secoya, spécialiste depuis plusieurs années des éco-tournages, et qui s’est emparée des questions sanitaires depuis la crise du Covid-19. Elle prend notamment en charge, avec les équipes de productions, la création d’un poste de « référent Covid », une personne devant coordonner et faire respecter les mesures sanitaires sur le plateau.

Et si quelqu’un de l’équipe signale qu’il est atteint du Covid-19, c’est alors à la société de s’occuper de la mise en relation avec les professionnels de santé. « On est passés d’un néant juridique et contractuel à une négociation », analyse Thomas Santucci, qui veut croire que, grâce à une connaissance accrue des processus de contamination, on peut de mieux en mieux « maîtriser les choses ». « Si on ne croit pas en ça, on arrête l’activité économique, sociale ou culturelle et chacun rentre chez soi. Mais on ne peut pas rentrer chez soi, sinon on crève. »  Si beaucoup de choses restent encore floues concernant l’avenir du cinéma, une chose est sûre : cette crise nous aura rappelé son importance vitale.

Image de couverture : photo de décor d’Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé © DR