Ariane Labed : « ‘Jeanne Dielman’ a été une révolution pour moi »

[INTERVIEW] Pour son premier long métrage après le court « Olla » (2019), l’actrice adapte le roman d’apprentissage de la Britannique Daisy Johnson. Entre teen movie et échappée fantastique, « September & July » raconte l’histoire, teintée d’emprise, de deux sœurs fusionnelles, marginalisées à l’école. Ariane Labed se dévoile à travers notre questionnaire cinéphile.


Ariane Labed © Fabien Campoverde pour OCS et TELFRANCE&CIE
Ariane Labed © Fabien Campoverde pour OCS et TELFRANCE&CIE

3 personnages de fiction pour vous décrire ?

Anxiété, dans Vice-Versa 2. Une part de moi a peur de tout, envisage le pire. Je suis une grande angoissée. En même temps, je suis assez courageuse. Ce qui explique qu’en deuxième j’ai choisi Rocky Balboa – car je lutte en permanence contre ce qui me paralyse. Enfin, Marie 1 et Marie 2 dans Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, un film de la Nouvelle Vague tchèque. J’aime leur vitalité, leur liberté.

3 teen movies qui ont bercé votre adolescence?

Créatures célestes, qui a beaucoup compté à l’adolescence. C’était la première fois que je voyais une histoire d’amour lesbienne dans une fiction. Carrie, pour cette façon horrible qu’a Brian De Palma d’approcher la violence et la difficulté de devenir une femme. Virgin Suicides, découvert à la fac. En le revoyant pour la préparation de mon film, j’ai trouvé le regard de cette cinéaste, que j’admirais, dans une pure reproduction du male gaze, contre lequel je suis en lutte. Cette image vaporeuse de la nymphe, blonde, vierge, hypersexualisée, m’a fait beaucoup de mal dans ma construction de femme – j’ai voulu montrer autre chose dans September & July.

3 héroïnes avec qui se mettre en coloc ?

Thelma et Louise. Elles incarnent un pouvoir de transformation, celui de tout faire sauter. Leur histoire est noire, mais habitée d’une révolte à laquelle j’aspire. Et Wanda, interprétée par Barbara Loden dans son propre film.

Jeanne Dielman
Delphine Seyrig dans « Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles » de Chantal Akerman

3 films féministes qui vous ont portée ?

Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, une révolution pour moi. Chantal Akerman parvient à lier ce qui m’a toujours intéressée, intuitivement, dans la rencontre entre la danse et le théâtre, avec une forme de cinéma. Le rapport entre sa caméra et son personnage féminin, son travail du corps dans l’espace est unique. Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig. Elle a tendu le micro à des actrices pour les faire parler de leur métier, de ce que les représentations féminines qu’on nous demande d’incarner peuvent avoir de néfaste, de dangereux. Maria Schneider, 1983, court métrage d’Elisabeth Subrin. La cinéaste redonne corps et voix à cette actrice, abusée et blessée par l’industrie cinématographique, en la faisant jouer par différentes interprètes.

3 films portés par des figures d’outsiders ?

Elephant Man de David Lynch [lire p.22, ndlr], portrait bouleversant qui résonne très fort en moi. Une femme sous influence avec Gena Rowlands, qui incarne une autre forme de marginalité, un personnage mal aimé, bizarre, considéré comme fou. Bienvenue dans l’âge ingrat de Todd Solondz, une histoire de weirdo, un beau film indépendant sur la difficulté à trouver sa place dans le monde à l’âge adulte.

3 grands films de fantômes ?

Le Sixième Sens de M. Night Shyamalan et Birth de Jonathan Glazer. Pour leur approche à la marge du film de genre, leur façon d’être toujours à la limite de l’horreur dans un cadre quotidien, banal. Enfin, Morse de Thomas Alfredson, un film de vampire humble, épuré, qui traite du rapport à la mort qu’ont les enfants.

September & July d’Ariane Labed, New Story (1 h 40), sortie le 19 février