Raphaël Quenard : « J’me sens pas “border”, mais amoureux de la transgression. De la transgression consciente. »

[PORTRAIT] On espérait voir l’acteur dans un premier rôle. C’est chose faite avec « Chien de la casse », le subtil et mélancolique buddy movie de Jean-Baptiste Durand, et « Yannick », comédie noire de Quentin Dupieux, en salles en ce moment. Un début de carrière qui laisse augurer d’autres grands moments de cinéma déglingué.


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Il voulait venir à notre rencontre avec « une perruque de femme blonde » ou en « Père Noël », mais son entourage l’en a dissuadé. Dommage pour nous, il est beaucoup plus sobre, mais pas normie non plus, n’abusons pas : une couleur blonde peroxydée, gardée d’un tournage bordelais dont il revient à peine, et des petites mèches qui piquent dans tous les sens et apportent un éclat au-dessus de son visage anguleux.

Quentin Dupieux : « J’ai toujours au fond de moi ce goût du film qui ne devrait pas exister »

Voilà un petit moment que l’on voit Raphaël Quenard traîner son air un peu toc toc dans des courts métrages (le chouette Les Mauvais Garçons d’Élie Girard, 2020), des séries (Family Business) et des longs (Mandibules et Fumer fait tousser de Quentin Dupieux, sortis en 2020 et 2021 ; Coupez ! de Michel Hazanavicius, en 2022…) dans lesquels il reste sagement (mais pas trop non plus) au second plan. Ce qui, pour ce qui nous concerne, a allumé l’étincelle, c’est la série HP d’Angela Soupe et Sarah Santamaria-Mertens, diffusée sur OCS en 2018. Il y joue un interne débordant d’empathie, cinglant dans sa repartie, et glissant lui-même sur le sinueux terrain de la folie.

Le rôle de Mirales dans Chien de la casse offre enfin un espace suffisant à son talent. Le film raconte l’amitié entre deux jeunes (Mirales donc, et Dog, incarné par Anthony Bajon), perturbés par l’arrivée d’une fille, Elsa (Galatea Bellugi), dans le petit village du Pouget, dans l’Hérault, où ils traînent leurs galères été comme hiver. Mirales, c’est le genre à masquer ses failles et sa peur du vide ou du silence en faisant le show, en faisant dérailler les conversations, tout en fumant des splifs. Tous les cinéastes ou presque qui ont embauché Raphaël Quenard, à qui la voix traînante donne un petit air d’habitué du P.M.U., ont tiré cette ficelle comique, en cherchant aussi parfois la mélancolie plus sourde qui pouvait se loger dans cette profusion de gestes, de mots qui sautent à la gueule. Comme si, depuis le début, l’acteur ne jouait qu’un seul et même rôle : lui, en XXL.

CHIEN FOU

On en a fait l’expérience dès le début de l’entretien. Quand on lui a demandé sa date de naissance, il nous a rétorqué, l’œil malicieux et le sourire aux lèvres, comme pour nous narguer : « Entre les années 1990 et 2000. J’vais te donner que des informations approximatives comme ça, ça va être un portrait “à peu près”. » Le concept nous branchait bien, mais on l’a quand même poussé à en dire plus. Beau joueur, il nous a raconté avoir grandi à Gières, près de Grenoble – il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois ; son père est chercheur en matériaux d’isolation thermique et sa mère est employée à la MACIF.

Au collège, déjà, il aimait le zbeul – il était bon élève, mais se faisait souvent exclure de cours. Il décroche le Bac S, puis ça part dans tous les sens. Il se convainc qu’il veut rejoindre l’École des pupilles de l’air, une prépa aux écoles militaires ; puis non, en fait, des études de chimie – au bout de cinq ans, il obtient un master. Ensuite, il se dit qu’il ferait bien de la politique. Il écrit aux 577 députés, se fait embaucher pendant six mois par l’une d’entre eux.

« Je distribuais les CV à toutes les projections, comme un raclo »

La politique est un spectacle du réel qui le fascine complètement (« Écoutez Mme Laclais, j’vais vous dire une chose », dit-il en mimant la voix et le roulement d’épaule de Nicolas Sakorzy). Il est « magnétisé » par les vidéos de femmes et d’hommes politiques, mais s’occuper des affaires locales, très peu pour lui. Il quitte l’Isère et monte à Paris, voit des pièces de théâtre à la chaîne et finit par rencontrer Jean-Laurent Cochet, grande figure du théâtre disparue en 2020, qui a notamment formé Isabelle Huppert, Fabrice Luchini ou Emmanuelle Béart.

Il enchaîne les cours amateurs (« peut-être trente, quarante. À l’époque moi je distribuais les CV à toutes les projections, comme un raclo »). Il fréquente quelque temps l’association 1 000 visages, fondée en 2006 par la cinéaste Houda Benyamina pour favoriser l’insertion dans le cinéma de jeunes venus de milieux populaires. C’est dans ce cadre (et un petit peu hors de lui aussi) qu’il rencontre une série de cinéastes talentueux mais débutants : Élie Girard, Émilie Noblet, Emma Benestan, puis Jean-Baptiste Durand. Quand le magazine Sofilm fait son portrait dans son numéro d’été 2021, « bam, bam, bam », la machine est déjà lancée.

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FEUX D’ARTIFICE

Parmi les acteurs qui l’ont influencé, il nous cite pêle-mêle Cate Blanchett, Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, … Les dimanches, il adore aller dans des grosses salles de ciné, où ça se bagarre gentiment comme pour One Piece ou plus récemment Creed III – il aimerait bien que, dans les salles obscures, « ça s’jette des clémentines ». De toutes ses (pas si) discrètes apparitions au cinéma, on retiendra celle de Coupez !, qui raconte le tournage pourri d’un film de zombies. Dans plusieurs plans de la première séquence, il est relégué au fond, assis sur le côté – la caméra ne daigne même pas s’intéresser à lui. Le moment de gloire arrive avec une scène scato d’anthologie, ultra explosive (on n’en dira pas plus, pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte).

Quand on lui demande pourquoi à son avis il se fond si bien dans un cinéma du débordement, et pourquoi il joue autant de personnages qui ont un pète au casque, il nous répond : « J’sais pas. J’me sens pas “border”, parce que c’est péjoratif, mais amoureux de la transgression. De la transgression consciente. » Pendant l’interview, il n’arrive pas à rester en place : il nous checke, tape du poing sur la table, s’avance et recule par mouvements secs. Il sort aussi beaucoup d’hyperboles, et de surprenantes mais jolies punchlines.

On le découvre ultra sensible quand il parle de ses grandes passions. Le foot (il en a fait pendant seize ans et voue un culte à Zlatan Ibrahimović) : « Ça m’agite les tripes. Si le Très-Haut m’offrait un retour en arrière de vingt ans, je consacrerais chaque seconde de ma vie à devenir footballeur. » Ou le rappeur marseillais Jul : « Il dégage tellement d’amour, de simplicité, de pureté, d’authenticité. Pas un jour n’est passé depuis 2013 sans que je ne l’écoute. Quatre fois j’ai eu le rideau [il a pleuré, ndlr] en écoutant son morceau “Perdu”. » Un titre dans lequel Jul rappe : « Et j’me fais des films / Je m’aperçois que le temps défile / Le bonheur n’est que de passage / Mais suffit d’un rien pour finir sur les cimes. » On trouve que ça colle bien à ce personnage de fou rêveur.

 Portrait : Julien Lienard (@julienlnrd) pour TROISCOULEURS

images (c) Bac Film

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