Dans Yves de Benoît Forgeard, il donne la réplique à un frigo plus intelligent et plus doué que lui. Visage récurrent des seconds rôles rigolos du cinéma français des années 2010, William Lebghil passe actuellement la vitesse supérieure avec des premiers rôles et des films singuliers qui lui vont bien.
« En ce moment, je suis en train de mater Game of Thrones. Tu connais ? Je découvre… J’en suis à la saison 3. C’est vachement bien foutu ce truc, non ? » Lunettes de soleil de circonstance, survet’ vintage et sourire radieux, William Lebghil est à Cannes pour défendre Yves, le nouveau film de Benoît Forgeard, en clôture de la Quinzaine des réalisateurs. Alors que la planète entière discute de la fin de cette série culte, William Lebghil mène à son rythme son visionnage, pas du tout inquiet des éventuels spoilers, s’étonnant même en différé des surprises de la série. Une force tranquille, débonnaire, qui résume parfaitement ce que l’acteur de 29 ans a apporté au cinéma français. Une forme de légèreté juvénile, d’insouciance bordélique, un décalage dans le rythme, qui s’oppose aux injonctions permanentes à l’hyperproductivité de la vie d’adulte aujourd’hui. Mais c’est un paradoxe qui lui va bien. À bientôt 30 ans, William Lebghil paraît toujours en avoir vingt. Découvert en ado rigolo, sidekick de Kev Adams dans la série Soda (2011-2015), le comédien joue à merveille depuis presque dix ans le « jeune ». Puceau sauvage chez Riad Sattouf (Jacky au royaume des filles, 2014), premier de la classe émouvant pour Thomas Lilti (Première année, 2018), amoureux indécis dans Ami-Ami de Victor Saint Macary (2018) et aujourd’hui, donc, rappeur chez mémé face à un frigo intelligent dans Yves de Benoît Forgeard. Une galaxie de personnages décalés, pas complètement finis, qui passent des films entiers à se chercher – et parfois même à se trouver – au contact des autres. Des héros qui hésitent, se plantent parfois et font bugger l’époque et son système par leur façon de ne jamais respecter les lignes droites. « Ce ne sont pas des loseurs, en fait, précise-t-il. Il y a toujours une prise de conscience chez eux, une forme de révolte, je trouve. Ça les rend attachants. Au départ, Jérem croit qu’il va pouvoir profiter du système avec ce frigo. Et puis il se rend compte qu’il y a un truc pas net, il tient tête à la machine. C’est la même chose avec Antoine dans Première année et le concours de médecine. Ce ne sont pas des héros ; juste des mecs qui se posent beaucoup de questions et qui n’ont pas tellement de réponses. Comme moi dans la vie… »
MISE À DISTANCE
William Lebghil ponctue souvent ses phrases d’un rire tonitruant, très communicatif, qui vous donne l’impression que rien n’est vraiment très sérieux ou grave. Une façon de prendre les choses, la vie, avec une distance bienveillante. Pour fuir l’angoisse ? Car, même s’il chante « Carrément rien à branler » dans Yves, l’acteur avoue être aujourd’hui beaucoup moins léger qu’avant. « Tu vois, les petits cheveux blancs, là sur le côté… Je ne vais pas pouvoir continuer à jouer les mecs de 20 ans longtemps. Ou alors va falloir prévoir un gros budget teinture. » Avec son copain Vincent Lacoste, rencontré sur le tournage du film de Riad Sattouf, ils rêvent déjà d’être de vieux acteurs et de finir leur carrière ensemble dans une maison de retraite, à fumer le cigare, boire de très bons whisky et regarder leurs films à la télé. « D’ici là, si les gens veulent encore de nous, on aura fait des mauvais films et, j’espère, quelques bons. » Il dit ça avec dans la voix des intonations volontaires de Jean-Pierre Marielle, l’une de ses idoles, récemment disparu, emblème d’une génération d’acteurs à l’ancienne, libres, qui selon ses dires « aimaient comme moi ou Vincent, être peinards ». S’il avoue que le cinéma, c’est parfait pour être tranquille, l’acteur ne cache pas que cette vie sur courant alternatif « où l’on peut bosser en groupe pendant des mois et se retrouver soudain seul chez soi à manger des raviolis en boîte » réveille quelques inquiétudes. « On verra bien. J’ai l’intention d’être là aussi longtemps qu’on voudra de moi. En ce moment, je rêve de faire une série avec des trolls, des elfes et des guerriers. Je crois que je regarde trop Game of Thrones. »
Photographie: JAMES WESTON
Image: Copyright Ecce Films