JACKIE BERGER, LA VOIX EST LIBRE
Ses intonations sont reconnaissables entre mille. Dessins animés, mangas, séries, cinéma… Jackie Berger, comédienne spécialisée dans le doublage, a prêté ses cordes vocales à un nombre incalculable de personnages, surtout des petits garçons. Mais l’atmosphère dans les studios d’enregistrement a bien changé depuis ses débuts dans le métier.
C’est dans sa jolie demeure du Languedoc que nous avons pu rencontrer Jackie Berger. Née à Bruxelles, pilier du doublage francophone, elle a plaqué le « plat pays » et (presque) son métier pour profiter d’un jardin truffé d’abricotiers. Si son nom ne vous dit rien, sa voix devrait réveiller la nostalgie dans votre cœur d’enfant : Demi-Lune dans Indiana Jones et le Temple maudit, c’est elle ; Esteban des Mystérieuses Cités d’or, encore elle ; l’héroïne sportive de Jeanne et Serge ; Sam dans Love Actually ; Arnold dans Arnold et Willy ; Petit Gourou ET Jean-Christophe dans Les Aventures de Winnie l’ourson… Vous l’aurez compris, à 71 ans, sa filmographie est plus longue que Les Sept Piliers de la sagesse.
Pudique mais électrique, la comédienne de l’ombre s’est spécialisée dans l’imitation de petits garçons dès le début de sa carrière… bien malgré elle. « J’aurais adoré décrocher de beaux rôles de femmes adultes, et, en même temps, je ne peux pas changer de voix, s’amuse-t-elle, interrompue par le chant des cigales. On me dit que je dois être habitée, ou être une sorte de réincarnation. Ma manière de parler, mon débit n’est pas celui de mon âge. Je pourrais en doubler des plus jeunes, bien sûr, mais je ne veux pas voler le travail de ceux qui prennent la relève. »
À BOUT DE SOUFFLE
Alors qu’elle atteignait la vingtaine, Jackie Berger a suivi des cours de théâtre un peu au hasard, jusqu’à se retrouver en studio d’enregistrement, engagée pour chanter le générique de Fifi Brindacier. Elle qui a croisé la route de Philippe Noiret, de Jean Topart, de Gérard Hernandez ou d’André Dussollier nous parle d’un autre temps. « Quand j’ai commencé, on avait le temps de parler, de rire entre les prises, précise-t-elle. Mais tout s’est informatisé. C’est beaucoup moins intéressant au niveau du jeu. Plus personne ne te donne la réplique, tu enregistres ton texte sans les autres… tu parles tout seul ! »
Elle garde toutefois en mémoire des expériences folles : Sept ans au Tibet de Jean-Jacques Annaud (1997), sous la direction de Jean-Marc Pannetier, qui faisait brûler des bâtonnets d’encens pour la mettre dans l’ambiance ; Il était une fois en Amérique (1984), quand Sergio Leone prenait son chien à elle, Ulysse, sur les genoux, pour le calmer pendant les prises ; Shining (1980), Danny Torrance et son fameux « Redrum », qui l’a laissée de marbre, contrairement aux spectateurs du film à la sortie – « En lisant mon texte, à l’écran, je n’avais d’yeux que pour Jack Nicholson ! »
LA PAROLE S’ENVOLE
Déçue par l’évolution de sa profession, Jackie Berger s’est retrouvée face à un mur plus difficile à escalader qu’un autre. En 2012, alors que le Grand Condor s’apprêtait à atteindre à nouveau les étoiles, dans la suite télévisée des Mystérieuses Cités d’or, elle n’a pas obtenu le rôle d’Esteban, l’un des plus marquants de son parcours, celui qui lui colle à la peau. « Ils m’ont fait passer des essais, se souvient-elle. Puis, un jour, j’ai reçu un appel : ce n’était pas pour moi. TF1, le client, aurait dit que ma voix n’avait pas changé, mais se demandait ce qu’il en serait dans six ans, pour les prochaines saisons. J’avais 60 ans. J’en ai pleuré. » Elle n’a pas totalement raccroché, mais préfère désormais la chorale et les cours de peinture aux longs allers-retours entre le Sud et la capitale. Sa fierté ? Sa fille, Justine, qui a pris la relève et qui vient de boucler le doublage du rôle de Judy Robinson dans la deuxième saison de Lost in Space, pour Netflix. Le destin fera peut-être en sorte que Jackie Berger enchante à nouveau nos oreilles. « Si un jour on m’appelle pour un très beau projet, conclut-elle. Mais on n’a plus besoin de moi. Ils engagent de plus en plus d’enfants, et ils ont bien raison ! J’ai toujours gardé en tête que je remplaçais de futurs talents… » • YOHANN TURI