En trentenaire décapante dans La Femme de mon frère, elle trouve son premier rôle principal au cinéma. Méconnue ici, Anne-Elisabeth Bossé est une grande humoriste au Québec. Sur une terrasse cannoise, elle nous est apparue souriante et un peu réservée – loin de ses persos disjonctés, mais tout aussi fascinante.
Guy, le moustachu qui affiche un
étincelant collier gourmette autour de son cou ; Sylvie, la speakerine blonde aussi maniérée que malaisante avec les
invités de son émission Rencontre ;
une fille en couple qui, pour économiser, compte chaque spaghetti ingérée par
son chum tout en explosant sa tirelire pour des « gants de moto-cross assortis de pierres précieuses »… Ces personnages de weirdos un peu déglingués,
Anne-Élisabeth Bossé les a incarnés entre 2009 et 2017 dans des sketchs des
Appendices, une bande d’humoristes très populaire au Québec avec laquelle elle
a pu explorer son goût pour le travestissement et la parodie. Une forme
d’humour qu’elle aime depuis toute jeune. « Je regardais souvent les sketchs des Inconnus. J’adorais aussi Les
Simpson », raconte-t-elle, avec son accent québécois et un
débit aussi rapide que celui de ses personnages. Pas étonnant, tant ses
truculents rôles dans La Femme de mon frère de Monia Chokri et Les
Amours imaginaires de Xavier Dolan (2010) – dans lequel elle raconte,
lors d’une courte et hilarante scène, comment elle stalke son ex –
évoquent des héroïnes cyniques et mordantes de la télé américaine, comme Daria
dans la série du même nom ou Lindsay dans la série Freaks and Geeks
de Paul Feig.
AU GRAND JOUR
Avant de la rencontrer à Cannes pour la présentation du film de Monia Chokri – son amie de longue date, qu’elle a connue au conservatoire d’art dramatique de Montréal, après avoir quitté la petite ville de Sorel-Tracy où elle a grandi –, on l’imaginait délurée. On se trompait. Cette grande fille affable a le regard fuyant, signe d’une timidité qu’elle camoufle derrière, par exemple, l’ostensible robe rose pétant qu’elle porte ce jour-là. À 34 ans, elle tient, avec La Femme de mon frère, son premier grand rôle au cinéma. «Ce n’était pas évident de m’abandonner à la caméra plusieurs jours de suite.Il y avait quelque chose de vulnérabilisant», confie-t-elle. À l’inverse de Sophia, qui cache ses émotions sous son ironie, l’actrice, heureuse d’avoir construit patiemment sa carrière (elle a surtout joué dans des séries et téléfilms québécois), semble déguiser sa sensibilité derrière un doux optimisme. À mesure que son masque tombe, on se dit qu’on a hâte de découvrir ses futurs visages au cinéma.
Photographie: Julien Linéard