PORTRAIT · Annabelle Lengronne, avec panache

Son visage ne nous était pas inconnu. On l’avait vue se balader dans des univers et des registres variés : la série (« Xanadu »), la comédie (« Les Kaïra » ; « La fine équipe »), le cinéma d’auteur français (« Une vie meilleure ») et indé (« Mercuriales »). Avec «Un petit frère» de Léonor Serraille, Annabelle Lengronne occupe enfin la première place. Elle est éblouissante dans la peau de Rose, jeune femme arrivée en France avec ses deux enfants à qui elle donne une puissance d’incarnation et une profondeur existentielle folle. Portrait.


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Annabelle Lengronne ne nous donnera pas son âge. On sent qu’elle ne s’y oppose pas, mais on lui a conseillé de ne plus le faire. Ce jour-là, dans les bureaux de la société Diaphana, distributeur d’Un petit frère, le deuxième long métrage de Léonor Serraille présenté en sélection officielle au dernier festival de Cannes, elle nous parlera volontiers de sa vie, de son parcours, mais l’âge est proscrit. Elle n’est pas dupe de la nature misogyne de ce conseil empoisonné mais elle l’applique avec le léger sourire de celle qui consent mais à qui on ne la fait pas. En ce mercredi 1er février, premier jour de sortie dans les salles française d’Un petit frère dans lequel elle incarne à merveille Rose, femme arrivée de Côté d’Ivoire avec ses deux jeunes enfants, Annabelle Lengronne arbore un blazer rayé doré et noir et ne cesse de fredonner Eye of a Tiger comme pour se donner de la force – un petit rituel de combat sorti pour les grandes occasions. 

Léonor Serraille : « La liberté de Rose, c’est sa façon à elle d’embrasser la France »

Annabelle Lengronne vit à Paris, dans le XVIIIème arrondissement, « seul bastion préservé de la gentrification ». Elle y est aussi née, « littéralement dans le métro parisien », d’une mère sénégalaise qui y a accouché, et a ensuite trouvé famille chez ses parents d’adoption, en Martinique. Elle les évoque avec beaucoup d’amour, loue leur bienveillance, parle de leur apprivoisement respectif (« Les parents rencontrent et choisissent l’enfant mais ça se fait aussi dans le sens inverse ») et de leur compréhension face à ses choix, qu’implique ce métier d’actrice qui peut faire peur quand on ne vient pas de là.

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Enfant, elle se souvient surtout des histoires racontées par un père très enthousiaste (« c’était le home cinéma de la maison »), d’un temps de télévision limité pour elle et son petit frère, de trois ans son cadet. Les années lycée sont le moment où sa cinéphilie s’étoffe. Virgin Suicides de Sofia Coppola et Elephant de Gus Van Sant, sublimes films d’adolescence cabossée, sont des chocs. C’est à cette époque, qu’Annabelle Lengronne dévore les cassettes qu’on lui offre à chacun de ses anniversaires (« c’est là que j’ai découvert Rocco et ses frères, l’un de mes films préférés »). La scolarité n’est pourtant pas facile, elle subit le harcèlement pendant douze ans. Le théâtre devient alors pour elle cet endroit où exprimer sa colère, la dompter comme une amie, la faire sienne pour reprendre possession de soi. Plus qu’être regardée, elle veut être entendue. Après le bac, de retour en terre parisienne, elle intègre l’école Claude Mathieu, située dans son très cher XVIIIème arrondissement. Elle décrit des profs exigeants et passionnants, un travail acharné, un sens de l’effort lié au privilège de pouvoir faire ce qu’elle fait.

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Paradoxalement, le métier d’actrice ne s’impose pas à elle encore comme une évidence, elle dit d’ailleurs ne pas avoir eu d’idoles et d’icônes. Il faudra quelques rencontres décisives et une première expérience de cinéma dans Une vie meilleure de Cédric Kahn, dans lequel elle joue une voisine de Yann interprété par Guillaume Canet (« c’était grisant ! », se souvient-elle) pour la persuader.  Le premier souvenir de cinéma, lui, remonte à ses sept ans quand elle découvre chez son grand-père le Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau, sorti en 1990. Elle est bouleversée devant « Depardieu, et la langue d’Edmond Rostand ». « Le ‘panache’ : c’est sur ce mot que s’achève le film et Rose en a beaucoup. »

C’est évident, et d’autant plus éclairant à la relecture de la définition donnée par Rostand : le panache, cette chose qui « n’est pas la grandeur mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle […]. Plaisanter en face du danger c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. » Une belle attitude, un caractère téméraire qui infusent aussi déjà une partie de sa filmographie, formant entre certains de ses rôles des échos et résonances – de la championne de boxe Aya Cissoko dans le téléfilm de Bourlem Guerdjou, Danbé, la tête haute (2015) à Conso, prostituée prête à défendre ses copines et s’embarquer dans une revenge story dans Filles de joie de Frédéric Fonteyne, Anne Paulicevich (2020), en passant par Stan, cette rappeuse débrouillarde et charismatique vivant au milieu des garçons dans La Fine équipe de Magaly Richard-Serrano (2016).

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PRÉSENCES

Quand elle se remémore la rencontre avec son personnage de Rose, « qui restera à jamais », ce casting si particulier (« Rose était dans la pièce »), un voile de mysticisme enveloppe son récit. Quelque chose qui a à voir avec une réminiscence, comme si Rose avait toujours été là et lui permettait de reconnecter avec sa propre histoire. L’histoire de sa mère biologique, elle aussi arrivée seule à Paris. A ses débuts, Annabelle Lengronne n’aura pas été épargnée par les rôles discriminants liés à sa peau noire, jouant aux « amies », au « faire-valoir », à « l’‘‘angry black woman’’, la femme noire en colère ». Le cinéma français ? Les César ? Le manque de parité et de diversité ? Annabelle connait bien les problématiques mais elle se veut optimiste et cite toute une génération de jeunes cinéastes déterminés à raconter leurs histoires longtemps muselées – entre autres, Maïmouna Doucouré, Jean-Pascal Zadi.

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Quelque chose bouge. « Je n’ai jamais vu ça », s’enthousiasme-t-elle. Annabelle Langronne a récemment tourné dans un téléfilm produit par Bien ou Bien, la production de Maïmouna Doucouré, justement, et du réalisateur et producteur Zangro, et qui s’appelle La Malédiction d’Ulysse. Un polar autour du passé esclavagiste de la ville de Bordeaux. Pour la suite, elle dit qu’elle aimerait bien s’aventurer du côté du thriller, « jouer une psychopathe », puis revenir à la comédie. Mais elle préfère ne pas faire de plans sur la comète. Ça ne sert à rien et pour l’instant, pour elle, les choses se goupillent plutôt bien. Et elle les reçoit avec panache.

Images (c) Blue Monday Productions – France 3 Cinéma