Alexis Manenti : « Je voulais me lever le matin pour tourner des scènes d’amour »

[PORTRAIT] Abonné aux rôles très terre-à-terre (« Les Misérables », « Dalva», «Le Ravissement »…), l’acteur Alexis Manenti se glisse dans la peau d’un berger frondeur qui refuse de vendre son terrain pour un projet immobilier sur le littoral dans « Le Mohican », western contemporain corse du réalisateur Frédéric Farrucci, en salles le 12 février. Entre nervosité et douceur, la présence magnétique de Manenti nous tapait dans l’œil depuis quelques années. Ce rôle intense et désespéré nous a donné envie de lui tirer le portrait.


Alexis Manenti dans Le Mohican © Koro Films - Atelier de production - Les Films Velvet - Novoprod
Alexis Manenti dans Le Mohican © Koro Films - Atelier de production - Les Films Velvet - Novoprod

« C’est un super documentaire, et il y a plein de jeunes qui sont comédiens en Corse maintenant », nous confie Alexis Manenti au téléphone alors que nous lui avouons (par un heureux hasard) sortir d’une projection de Lutte jeunesse au festival Premiers Plans d’Angers. Ce documentaire de Thierry de Peretti a été réalisé en 2017, à partir des interviews de casting de son film Une vie violente, menées par la directrice de casting Julie Allione. Coïncidence non négligeable : celle-ci est à la tête du casting du Mohican, et avait auparavant choisi Manenti pour qu’il joue dans Enquête sur un scandale d’état et À son image du même de Peretti, cinéaste qui consacre ses films à la Corse contemporaine, et son histoire politique récente.

D’ailleurs, hormis un petit rôle dans trois épisodes de la mini-série Une île, c’est la première fois qu’Alexis Manenti, dont le père est corse, joue un natif de l’île de beauté. Dans ce deuxième long-métrage de Frédéric Farrucci, l’acteur, qui a 43 ans le 12 février (jour de la sortie en salles), a appris la langue pour camper Joseph Cardelli, un des derniers bergers du littoral corse. Un résistant s’opposant à un immense projet immobilier et forcé de fuir, car traqué par la mafia locale. « J’avais lu un peu de littérature corse qui parlait de cette figure fantasmée du berger, un personnage solitaire et sauvage, un peu à la marge du monde », nous précise Alexis Manenti.

Pour préparer ce rôle, il a rencontré le vrai Joseph, qui a inspiré le cinéaste, afin d’appréhender physiquement les conditions de travail. « Ça me plaît de défendre des films sincères et politiques », affirme le comédien quand on évoque tous les métiers concrets qu’il a interprétés dans des films à portée socio-politique (un policier dans Les Misérables de Ladj Ly, sorti en 2021 ; un maire dans Bâtiment 5 du même cinéaste, sorti en 2023 ; un éducateur dans Dalva d’Emmanuelle Nicot, lui aussi sorti en 2023 ; un journaliste dans Enquête sur un scandale d’état ; ou encore un chauffeur de bus dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, sorti en 2023. Si, depuis quelques années, Alexis Manenti enchaîne les tournages, il s’est écrit pendant longtemps les rôles qu’il ne réussissait pas à décrocher.

Alexis Manenti dans Les Misérables de Ladj Ly
Alexis Manenti dans Les Misérables de Ladj Ly (2021)

LE CAMÉLÉON

D’origine mi-corse, mi-serbe, il grandit à Paris côté rive gauche, et commence à tourner dès 17 ans dans les films des copains. Cette bande d’apprentis cinéastes que tout le monde connait aujourd‘hui, c’est Kourtrajmé, et elle réunit Ladj Ly, Kim Chapiron, Romain Gavras ou bien Toumani Sangaré – le collectif, fondé en 1994, a aussi été soutenu par Vincent Cassel et Mathieu Kassovitz. Manenti est l’acteur phare du groupe. « À la base c’était vraiment pour s’occuper un peu le week-end comme il y en a qui font du skate ou du graffiti, nous on faisait des films sans argent, sans plans de travail, avec une petite caméra DV. On avait une grande liberté ! »

Sa toute première fois devant une caméra ? Easy Pizza Riderz, un court-métrage de Gavras, réalisé en 2002. « Il m’a convoqué un dimanche matin, je ne me suis pas réveillé. Il est venu sonner chez ma mère, pour me tirer du lit et il avait préparé un costume pour que j’incarne un jeune roumain sans-papiers qui erre dans Paris » se remémore-t-il d’une voix un peu espiègle. Ce personnage de voyou des pays de l’Est devient récurrent dans les premiers films du collectif et l’amuse beaucoup plus que le lycée, où il décrochera le bac de justesse.

À la fac, il restera deux jours et préfère enchaîner les castings en tout genre comme les petits boulots pour vivre. Le chemin qui le mènera sur la scène des César en 2020 est encore long.Aujourd’hui, il se dit content d’avoir connu autre chose que le succès mais la tentation de tout arrêter l’a souvent effleuré. « Un jour, vers 27 ans, je me suis réveillé et je me suis dit : quel est le meilleur rapport qualité-prix par rapport à mes compétences ? Je me suis inscrit dans une école, Le Laboratoire de l’acteur. En misant sur moi un peu plus sérieusement, j’ai découvert la méthode Stanislavski [du nom du metteur en scène russe qui révolutionna le jeu au début du XXe, avec un système visant l’authenticité de l’acteur, dont l’Actors Studio se réclame, ndlr]. Comme Rome ne s’est pas construite en un jour, il continue de s’écrire des personnages et de raconter des histoires dans l’idée de les proposer à des cinéastes.

Quand on lui demande de nous parler de ses premiers scénarios, écrits dans sa vingtaine, sa voix s’anime : « Dans un des tout premiers, je racontais l’histoire d’un mythomane qui, par le déguisement, se mettait dans la peau de personnes de différentes catégories sociales, comme un caméléon. » Ce qui résume bien la filmographie d’un acteur qui a testé une vingtaine de métiers, et envisage le fait d’être comédien comme un grand jeu d’enfants où tout le monde se met d’accord pour mentir. « J’aime bien les petits mensonges », nous confie-t-il. « Mais là, je ne mens pas ! Promis, c’est une interview-vérité. » Nous voilà rassurés. Et puis Koutrajmé vient à sa rescousse.

AVE, CÉSAR

Avec le scénariste et réalisateur Giordano Gederlini (Samouraïs, 2002 ; Entre la vie et la mort, 2021) et Ladj Ly, ils co-écrivent tous les trois le scénario d’un court-métrage réalisé par ce dernier, Les Misérables, dans lequel est prévu un rôle important pour Manenti : celui d’un flic de la BAC. Le film, tourné à Montfermeil, est un véritable coup de poing de 15 minutes – il est primé à Clermont-Ferrand puis nommé au César du meilleur court-métrage en 2018.

La suite, tout le monde la connait. Le court devient un long du même nom. Les Misérables est sélectionné en Compétition au Festival de Cannes et se voit récompensé du Prix du Jury en 2019.

Puis viennent les César où le film rafle ni plus, ni moins que celui du public, du meilleur film, du meilleur montage et… du meilleur espoir masculin pour Alexis Manenti, enfin révélé sur grand écran à 38 ans. « On ne vit pas souvent ce genre de succès dans une vie. Mais après ma victoire aux César, il y a eu le COVID. Je croyais que j’allais aller en boîte de nuit signer des autographes, je suis resté enfermé dans ma chambre pendant des mois à regarder mon César ». Si, par la suite, on lui propose plus de rôles, on veut toujours l’enfermer dans des personnages proches du policier raciste des Misérables. Ou alors des voyous serbes.

« DES SCÈNES D’AMOUR SUR UN BANC PLUTÔT QUE DE TUER DES GENS»

Il a envie d’autre chose, de décoller les étiquettes bien accrochées et de suivre le conseil donné par Vincent Cassel quand il était jeune : essayer de ne jamais refaire deux fois le même rôle. « Je rêvais de tourner avec des actrices, j’avais souvent joué dans des films très masculins. Je voulais me lever le matin pour tourner des scènes d’amour sur un banc plutôt que de tuer des gens. »

Sa prière est récompensée avec Le Ravissement, le magnifique premier film d’Iris Kaltenbäck, où il se glisse dans la peau du chauffeur de bus Milos, victime complexe du mensonge de celle dont il est tombé amoureux. Doux, pudique, sensible face à Hafsia Herzi, Alexis Manenti montre d’autres facettes de sa palette d’acteur.

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Alexis Manenti dans Le Ravissement d'Iris Kaltenbäck
Hafsia Herzi et Alexis Manenti dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck (2023)

Sa curiosité le porte vers des projets différents, comme L’Affaire Vinča Curie (du Serbe Dragan Bjelogrlić) ou Le Mohican, le rapprochent de sa famille et de ses origines culturelles mais l’ouvrent aussi sur un cinéma plus international.

Bientôt, il jouera un Anglais dans un film suisse ou un routier polonais attiré par un autre dans le premier film de Pierre Le Gall, Du fioul dans les artères. Puis il réalisera son premier long-métrage pour « tenter le coup ». À la question de savoir quels sont ses rêves cachés, Alexis Manenti répond spontanément : « Je voudrais jouer le méchant de James Bond et faire de grands films populaires. » On le lui souhaite. Avant de raccrocher, il nous glisse : « Avec un portrait pour TROISCOULEURS, j’ai l’impression d’avoir passé un step dans ma carrière. » Et flatteur avec ça.

: Le Mohican de Frédéric Farrucci (Ad Vitam, 1h27), sortie le 12 février