PORTFOLIO – Bruce LaBruce, radical queer

Avant de devenir l’icône du cinéma queercore, Bruce LaBruce a façonné son style trash et hyper sexué avec des ciseaux et une photocopieuse. En attendant la sortie de son nouveau long métrage, Saint-Narcisse, présenté à la Mostra en septembre, le cinéaste toujours secouant de Hustler White ou de L.A. Zombie nous a confié les meilleures


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Avant de devenir l’icône du cinéma queercore, Bruce LaBruce a façonné son style trash et hyper sexué avec des ciseaux et une photocopieuse. En attendant la sortie de son nouveau long métrage, Saint-Narcisse, présenté à la Mostra en septembre, le cinéaste toujours secouant de Hustler White ou de L.A. Zombie nous a confié les meilleures pages du fanzine qu’il bricolait dans sa jeunesse.

De 1987 à 1992, Bruce, alors étudiant en ciné à Toronto, et sa pote G. B. Jones, future réalisatrice de The Troublemakers et leadeuse du girl band Fifth Column, participent à l’élaboration de huit numéros de J.D.s, un fanzine qui chronique la scène queer et punk locale – quasi inexistante, donc qu’ils créent en organisant eux-mêmes soirées et concerts. Influencés par l’agit-prop et le situationnisme, le porno gay et le punk hardcore, les membres de J.D.s – pour juvenile delinquents, James Dean, ou Just Desserts, le restau minable dans lequel ils bossent le soir –, critiquent toutes formes de LGBT-phobies et l’uniformisation culturelle chez les gays blancs et bourgeois. Avec son style toujours fleur bleue, LaBruce nous raconte la conception de ce zine plein de collages sexy rudoyants et de manifestes radicaux, préparé avec amour dans un squat sans chauffage.

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J.D.s, numéro 5, page 24

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« Cette image est un bon exemple de la manière dont travaillait G. B. Jones, dont elle nous embellissait. Cette photo est comme une version idéalisée d’elle et moi. Grâce à la photocopieuse, notre peau est toute lisse. Bien avant les réseaux sociaux, on se créait déjà des persona, des versions glamourisées, exagérées, romantiques de nous-mêmes. Cette page reflète aussi notre esthétique du collage, avec le petit punk qu’on avait pris dans un autre magazine et recollé en haut à gauche. Quant à la typo, on était très marqués par le style gras et découpé de l’agit-prop. »

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J.D.s, numéro 1, page 19

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« C’est extrait d’une série de dessins par G. B. Jones, une version lesbienne des personnages masculins ultra virils de l’artiste Tom of Finland. On était très portés sur l’inclusivité, et on répartissait les pages équitablement entre gays et lesbiennes, ce qui est encore malheureusement très rare. Il faut dire qu’on était globalement assez critiques envers Tom of Finland, à cause de la masculinité exacerbée de ses dessins. Mais en même temps, on était désireux d’intégrer des codes gays un peu old school d’avant la libération sexuelle, qui nous semblaient romantiques parce qu’ils étaient en marge. »

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J.D.s, numéro 4, page 8

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« C’est mon amie Stevie lors du concours qu’on avait organisé pour élire la princesse ou le prince des homosexuels. Stevie était dans un groupe qui reprenait “These Boots Are Made for Walking” de Nancy Sinatra ; moi, je montais sur scène pour lécher leurs bottes. Elle travaillait aussi au restau Just Desserts, où tout a commencé. On nous encourageait à être méchants avec la clientèle aisée qu’on servait. Pour décrire l’ambiance, on comptait parmi nous une activiste de la cause animale qui plus tard a été arrêtée pour terrorisme. Avec ses cigarettes, elle brûlait les manteaux en fourrure des clientes. »

J.D.s, numéro 8, page 4

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« Les skins et les punks écoutaient la même musique, ce qui faisait qu’on se croisait souvent dans les mêmes clubs, même si les skinheads étaient des néonazis et que nous les détestions en conséquence. J’ai quand même développé un vrai fétichisme autour des skinheads, de leur agressivité. À cette époque, je sortais avec un prostitué avec qui j’ai rompu. Plus tard, lorsque je l’ai recroisé, il était devenu d’extrême droite. J’ai recommencé à le fréquenter, histoire de lui faire entendre raison. Mais ça s’est fini quand il m’a cassé la gueule devant chez moi. Ça a marqué la fin de mon fétichisme pour les skinheads. »

J.D.s, numéro 7, page 40

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« Ça, c’est un numéro pour lequel j’ai interviewé Peter Berlin, l’acteur porno gay allemand culte des années 1970. C’était l’été 1988, à San Francisco, on était venus là avec G. B. Jones pour capter les derniers instants de la scène punk radicale. J’ai croisé Berlin à la pharmacie, il habitait dans le quartier de Lower Haight, et je lui ai demandé s’il serait OK pour un entretien. Il était très excentrique, son appart était tapissé de photos de lui. Il était très sympa, et en même temps très sec… Je me souviens lui avoir demandé quel était son type de musique préféré, et il m’avait répondu : “J’aime le silence.” »

Photo d’ouverture : Bruce LaBruce, sur la couverture du numéro 8 de J.D.s