Avec cette chronique bouleversante de la Première Guerre mondiale perçue à hauteur d’enfant, le cinéaste signait un feuilleton qui posait les jalons de son art réaliste.
Le saviez-vous ? Bien avant que plusieurs grand(e)s cinéastes comme David Fincher (Mindhunter) ou Rebecca Zlotowski (Les Sauvages) passent du côté du petit écran pour proposer d’amples fictions sociales et politiques, un certain Maurice Pialat avait déjà réalisé La Maison des bois, feuilleton magistral en sept épisodes sur la vie quotidienne d’une famille d’accueil à la campagne pendant la Première Guerre mondiale.
On est en 1969. Pialat n’a qu’un seul film à son actif (L’Enfance nue, récompensé du Prix Jean Vigo), mais sa mini-série précurseuse cristallise déjà sa sensibilité brute, son don de narrateur, son habileté à dessiner des trajectoires intimes rejoignant la grande histoire collective. Et réunit tous les soirs des milliers de téléspectateurs avides d’en connaître la suite.
En 1980, à l’occasion de sa rediffusion sur TF1, Maurice Pialat évoquait dans l’émission culte Le cinéma des cinéastes cette expérience fondatrice, en compagnie de Claude-Jean Philippe et Caroline Champetier. Un témoignage précieux que France Culture propose aujourd’hui de réécouter. On y comprend que c’est lors du tournage de La Maison des bois que Pialat aiguise sa direction d’acteurs intuitive. Il réalise volontairement de longues prises de vue, fait durer le temps de ses plans pour que ses jeunes comédies amateurs puissent déployer leurs émotions dans l’improvisation : « Ce goût du plan-séquence, ce refus du découpage, du champ contre-champ, tout cela est prémédité, mais avec une part d’inconscience », analyse-t-il. C’est aussi à Jean Renoir, ses plans picturaux et ses dialogues naturels que Pialat voulait rendre hommage.
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Si La Maison des bois a été un tournage essentiel pour Pialat, c’est parce qu’il s’est fait dans des conditions exceptionnelles, malgré le faible budget alloué au feuilleton : « Tout à coup, un village s’est transformé en un grand plateau. Je n’ai jamais retrouvé ça. N’importe qui qui travaille dans ces conditions travaille mieux que d’habitude, on s’amuse davantage, c’est un jeu. » Étalé de l’été à l’automne, le tournage a pris une tournure ludique, et comme le fait remarquer Claude-Jean Philippe, c’est cet amour du temps qui coule, semblable à la lenteur contemplative d’un Ozu ou d’un Mizoguchi, qui caractérise le rythme particulier de La Maison des bois.
Ce nouveau format sériel a conduit Pialat à se questionner sur le rapport au spectateur : comment savoir où s’arrêter dans le récit pour ne pas ennuyer le spectateur ? Faut-il avoir recours, comme dans le cinéma américain, à des previews qui permettent d’anticiper les moments de creux à couper pour maintenir alerte son attention ? Dernier grand paradigme sillonné par l’émission : si le contexte historique très violent de l’époque (la propagande militaire, la menace d’un conflit et bien-sûr la mort qui menace de toute part) est bien-sûr convoqué dans la fiction, La Maison de bois aborde la guerre de façon détournée et ténue, jouant de l’art de l’ellipse pour capturer l’inquiétude intérieure de la jeunesse, plutôt que de se focaliser sur le déroulé exact et objectif des événements.
La série est disponible sur Arte en intégralité.