Hiroshima, 6 août 1945. Alors que les habitants partent au travail, Yasuko (Yoshiko Tanaka) se rend chez son oncle et sa tante à bord d’un ferry. Un éclair blanc déchire le ciel, irradie l’horizon d’un souffle monstrueux. Les séquences qui suivent se succèdent comme des tableaux de l’enfer. Sous les décombres, des silhouettes mutilées rampent, mais la caméra reste loin d’eux, impassible. Puis vient la pluie noire : c’est la retombée de l’explosion atomique, qui s’abat comme un voile mortuaire sur la musique de Tōru Takemitsu.
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C’est ainsi que s’ouvre Pluie noire (1989), drame épuré et graphique de Shôhei Imamura – chef de file de la Nouvelle Vague japonaise, qui n’a cessé de décrire l’atrocité humaine à travers une filmographie pessimiste et provocante. Le film est inspiré du roman de Masuji Ibuse. Au coeur de ce beau film, aussi pudique dans ses dialogues ténus que magistral dans sa façon d’orchestrer de longs plans inquiétants, il y a l’idée que la catastrophe d’Hiroshima reste impossible à regarder en face, qu’il faut l’embrasser différemment – non pas par le biais de l’histoire, mais par les trajectoires intimes.
D’où le saut temporel que Shôhei Imamura choisit d’opérer. Pluie noire ne parle pas tant du 6 août 1945 que de ce qui vient après, de la lente inquiétude qui ronge des survivants habités par l’idée d’une mort prochaine. Ainsi, le récit se focalise rapidement sur les années suivant la guerre, où, Yasuko, rescapée du bombardement, ne trouve pas de mari, car ses prétendants fuient en apprenant qu’elle a été exposée aux radiations…
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À mesure que les effets de la radioactivité s’enracinent plus profondément dans les esprits, Shôhei Imamura, habile (et cruel) styliste, impose l’idée de condamnation de ses personnages dans un cadre idyllique – des plans apaisés sur une nature bourgeonnante qui rappellent presque Partie de campagne de Renoir, des séquences de repas familiaux calmes – comme si la mémoire des bombes s’était ancrée sous leur peau.
Image (c) The Bookmakers