Cet article a été publié en septembre 2018, lors de la sortie du film.
Tout proche, il y a la mer. Mais on ne la voit quasiment pas, sauf dans les images d’archives du générique d’ouverture qui montrent des groupes de migrants débarquer à Marseille aux environs de la moitié du XXe siècle. Les héros du film, eux, n’ont pas le loisir d’aller la voir : lâchés par des parents démissionnaires, ils traînent leurs jeunes carcasses de foyers en centres de détention pour mineurs, des trottoirs aux chambres d’hôtel crades dans le voisinage malfamé de la rue de la Rotonde.
Le galérien qui nous fait découvrir ce monde, c’est Zac, 17 ans, petite frappe gouailleuse qui ne perd son entrain que lorsqu’il s’agit de sa mère – elle ne l’accueille pas à sa sortie de prison et ne veut plus le reprendre chez elle. Fuguant du foyer dès son arrivée, il se fait ensuite embrouiller par Shéhérazade, une toute jeune prostituée qui lui vole son shit au lieu de lui faire la passe promise. Les deux deviennent bientôt inséparables, Zac assurant les arrières de la jeune fille sur le pavé.
On pense beaucoup à l’excellent Petits frères de Jacques Doillon (1999) en découvrant Shéhérazade, d’abord pour l’approche empathique, dénuée de jugement, de la jeunesse défavorisée que les deux films proposent. En mettant en scène des non-professionnels (époustouflants Dylan Robert et Kenza Fortas dans le film de Marlin) à l’histoire proche de celles de leurs personnages, ils apportent aussi une fraîcheur et une intensité rares au cinéma.
Expressions, gestuelles, énergie… L’effet de réel est d’abord troublant, avant d’être emporté par l’ampleur de tragédie du récit : Zac se fait trahir par ses frères de cœur, cherche à se venger, entre en conflit avec une bande de proxénètes rivale. Mais la descente aux enfers qui se profile est freinée par un élément aussi simple que tabou chez le jeune héros : son amour indicible pour Shéhérazade, comme la seule force capable de lui faire défoncer les murs qui cloisonnent sa pensée et son destin, et de lui faire accepter de se retrouver derrière les barreaux quand il le faut.
Pour voir le film (dispo jusqu
+3 QUESTIONS À JEAN-BERNARD MARLIN
Votre documentaire et votre court métrage précédents se focalisaient déjà sur la jeune délinquance. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce milieu ?
Shéhérazade est inspiré d’un fait divers impliquant un garçon de 17 ans qui vivait dans des chambres d’hôtel avec deux filles prostituées de son âge dans le quartier dans lequel j’ai ensuite tourné. C’est leur histoire d’amour qui m’a donné envie de faire le film, pas tant la délinquance. Pour ces projets, c’est aussi le problème du manque d’argent qui m’intéressait, car il s’est posé à moi au même âge.
Le film se déroule à Marseille, mais on ne reconnaît pas spécialement la ville. Pourquoi avoir choisi d’en gommer les spécificités ?
Je connais très bien la ville, j’y ai grandi, je ne voulais pas en montrer les lieux touristiques – quand on connaît, on va forcément vers les choses plus pointues. Mais le film commence par des images d’archives d’immigrés qui débarquent à Marseille, car je voulais tout de même faire de la ville un personnage à part entière, en montrant que c’est une terre d’immigration. Certaines scènes sont très stylisées, avec des jeux de lumière assez impressionnistes.
Pourquoi ce parti pris antinaturaliste dans un film aussi ancré dans le réel ?
Comme j’avais devant la caméra une matière documentaire, je ne voulais pas que la mise en scène se contente de capter. Avec ce genre de films, on peut être très feignant en tant que réalisateur. On a parfois été contraints par le réel, les acteurs, les décors, d’adopter cette esthétique, mais je lorgnais plutôt du côté d’Apocalypse Now, des films des années fin 1970-début 1980