En 2022, Paul Kircher faisait l’événement. Après avoir été propulsé en tête d’affiche de T’as pécho ?, comédie teen d’Adeline Picault, il se révélait dans Le Lycéen de Christophe Honoré, tenant le rôle d’un garçon endeuillé par la mort brutale de son père et en proie aux désirs de son âge tendre. Quelques mois plus tard, Le Règne animal de Thomas Cailley donnait au jeune acteur, fils des comédiens Irène Jacob et Jérôme Kircher, et grand frère de Samuel (protagoniste de L’Été dernier de Catherine Breillat, en 2023), l’occasion de poursuivre cette partition adolescente fougueuse et vulnérable. Dans Leurs enfants après eux de Zoran et Ludovic Boukherma, adapté du Goncourt de Nicolas Mathieu, Paul Kircher, aujourd’hui 22 ans, joue encore au jeune garçon, mais sur un temps long. Il incarne Anthony de ses 14 à ses 20 ans, ado des années 1990, fan de Rocky et de Bruce Lee, qui grandit dans l’est de la France. Le ciel est immense, mais l’horizon bouché : « C’est quelqu’un qui se cherche, qui se construit auprès de figures masculines fortes, comme son père, son cousin. C’était intéressant de voir comment il grandit avec cet héritage. À 14 ans, il veut être le mec qui va en découdre parce que, dans sa tête, ce genre-là plaît aux filles. Mais plus il grandit, plus ses rêves se confrontent à la réalité. Ce qui était intéressant aussi, c’était de voir comment habiter un même endroit à des âges différents. »
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Ado, Paul Kircher, avec ses « quatre têtes de moins que tout le monde » ,se sent aussi un peu à part : « On m’a toujours dit que je faisais plus jeune. Je me disais : “Tant mieux, ça me laissera le temps d’être plus vieux plus tard”. » Le comédien, qui à l’époque idolâtre Alex Turner, du groupe de rock britannique Arctic Monkeys, évoque ses années collège comme une période difficile dont il garde étrangement un bon souvenir – « quand j’y repense, je me dis que les gens sont fous à cet âge-là, il n’y a pas de limites ». Sa façon surprenante de passer d’un sentiment à l’autre, de répondre à nos questions par oui ou non, traduit assez bien les talents élastiques de son jeu et la nonchalance gracieuse qui émane de lui, maladresse poétique courant dans chacune de ses apparitions. Pour Leurs enfants après eux,il s’est dirigé sur la voie d’une intense expressivité. Dans le film, les gestes semblent s’échapper de son corps par inadvertance.
Ce goût pour l’inattendu et le burlesque, l’ancien étudiant, passé par une double licence de géographie et d’économie avant de se consacrer au cinéma, le tient sûrement de son amour pour Charlie Chaplin que ses parents lui font découvrir enfant : « Ça m’avait beaucoup plu, cette façon de rire de soi-même, de se mettre dans des situations ridicules. J’ai le souvenir, dès le collège, d’avoir reproduit ça, limite dans le but qu’on se moque de moi. Ça me plaisait de faire rire les gens, qu’on se dise : “Il est trop bizarre”. » Cette bizarrerie infuse dans les airs rieurs, la silhouette dégingandée et le phrasé empêché de son personnage, qu’il dit avoir nourri de l’irrévérence des Kidsde Larry Clark, mais aussi du flegme du Jeune Acteurde Riad Sattouf – bande dessinée sur les débuts d’acteur de Vincent Lacoste – et d’un autre personnage de BD, Titeuf. En septembre dernier, à la Mostra de Venise, Paul Kircher découvrait Leurs enfants après euxsur grand écran, en présence du jury dont faisait partie le réalisateur américain James Gray : « Quelqu’un qui a construit mon rêve de cinéma », nous confie-t-il. La projection, intense, le laisse sans voix, incapable de faire la fête prévue ensuite. À l’écouter, le souvenir n’est pas si éloigné de celui des après-concerts, à l’époque où il était chanteur et guitariste dans un groupe et vivait ses premières émotions de jeu : « Avec le rock ’n’ roll, je me suis découvert. » Il repartira de la Mostra avec le prix révélation Marcello-Mastroianni sous le bras.
Cet été, Paul a joué un petit rôle de peintre dans le prochain film de Cédric Klapisch. En janvier, on le retrouvera chez Christophe Honoré, au théâtre, dans le merveilleux LesIdoles, pièce créée en 2018 et à laquelle le cinéaste et metteur en scène offre une seconde vie. Pour l’heure, l’acteur vient de rejoindre le deuxième long métrage du réalisateur de Petit Paysan, Hubert Charuel, Meteors, « une histoire d’amitié » avec Salif Cissé et Idir Azougli, nous dit-il au téléphone, un soir d’après-tournage. Cette fois-ci, il ne joue plus un ado. « Ce qu’ont écrit Hubert Charuel et Claude Le Pape [la coscénariste de Meteors, ndlr] me parlait, et en même temps c’était mystérieux. J’ai besoin de raconter d’autres choses à travers les personnages que je joue puisque moi aussi j’ai un petit peu grandi. »
Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma, Warner Bros. (2 h 16), sortie le 4 décembre