Pascal Cervo, feu secret

« Je n’ai pas une grande gueule, je ne tiens pas à attirer l’attention en société et, du coup, je m’entends dire régulièrement que je n’ai pas l’air d’un acteur, que je “ne fais pas” acteur. » Dans une interview donnée à Libération en 2011, Pascal Cervo se désolait de renvoyer une image un peu passe-partout.


« Je n’ai pas une grande gueule, je ne tiens pas à attirer l’attention en société et, du coup, je m’entends dire régulièrement que je n’ai pas l’air d’un acteur, que je “ne fais pas” acteur. » Dans une interview donnée à Libération en 2011, Pascal Cervo se désolait de renvoyer une image un peu passe-partout. L’œil rieur, arborant une barbe qui donne à son visage un caractère moins doux et moins poupin que dans ses films, l’acteur de 38 ans nous confie qu’il n’entend plus tellement cet injuste reproche aujourd’hui. Mais, dans le café du Ve arrondissement où a lieu notre rencontre, il s’étonne que le photographe ne sache pas qui il est ni dans quoi il a joué. Pas fâché pour autant, l’acteur s’installe devant l’objectif avec assurance. Il semble loin le personnage de Marc, cet ado tourmenté par ses désirs, grâce auquel on l’a découvert en 1994 dans Les Amoureux de Catherine Corsini.

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DOUBLE JE(U)

C’est à 15 ans que le jeune Pascal, originaire de Soisy-sur-Seine dans l’Essonne, obtient le premier rôle du film, après avoir été repéré par une directrice de casting alors qu’il flânait avec ses amis devant un grand magasin. « Je n’étais pas très à l’aise avec le fait que le personnage soit gay. J’ai commencé par refuser, et je pense que c’est ce qui a intéressé Catherine Corsini. » La réalisatrice, avec laquelle il collaborera par la suite pour deux téléfilms, se souvient de ce qui a motivé son choix de casting. « Je cherchais une forme de banalité, je voulais que chacun puisse se reconnaître en lui. Pascal avait ce côté commun tout en ayant une personnalité opaque. Ce n’est pas quelqu’un qui se vautre dans les émotions. » Son physique ordinaire, sa beauté classique, semble être la matière même avec laquelle Cervo travaille, lui qui sait se fondre dans des rôles et des univers extrêmement variés ; comme une surface blanche sur laquelle on peut tout projeter. L’homme est difficile à cerner, on sent chez lui une certaine pudeur, et il ne se livre pas sur autre chose que son travail. Insaisissable, l’acteur ne se laisse pas réduire à un type de personnage. Autant Marc, dans Les Amoureux, est fragile, autant le personnage avec lequel il s’illustre ensuite dans le fiévreux À toute vitesse (1996) de Gaël Morel, celui d’un jeune écrivain qui s’inspire d’un garçon épris de lui pour en faire le héros d’un roman, apparaît têtu et débordant d’une sensualité brûlante. Une dualité qui fait écho au jeune homme que Pascal Cervo est alors. « Dans mon petit groupe d’amis, j’étais très impulsif, voire inconscient par moments. Mais dès que je sortais de ce cercle, je devenais très réservé. » Dans Deux Rémi, deux, un étonnant film à la fois burlesque et inquiet, le cinéaste Pierre Léon a eu la bonne idée de profiter de l’ambivalence de l’acteur pour adapter Le Double de Fiodor Dostoïevski. Soit l’histoire de Rémi, un garçon effacé, qui voit arriver dans sa vie un deuxième Rémi, son sosie, beaucoup plus à l’aise et affirmé. La difficulté, pour l’acteur, consistait à marquer la disparité entre deux personnages identiques. « Pierre Léon m’avait donné des indications assez abstraites : je devais jouer Rémi 1 en pensant à un chat, et Rémi 2 en songeant à un perroquet. » Le cinéaste évoque son travail avec l’acteur : « À l’écran, il trouve l’équilibre nécessaire entre son aura d’acteur et le personnage qu’il doit jouer. Il maîtrise parfaitement les allers-retours entre les deux visages. » Une maîtrise qui tient au fait que, depuis ses rôles dans Les Amoureux ou À toute vitesse, embrassés de façon instinctive, l’acteur s’est vu offrir des partitions plus exigeantes de pure composition. Sur le tournage de Dernière séance (2011) de Laurent Achard, un slasher à la mise en scène clinique, dans lequel Cervo livre une performance trouble et extrême dans le rôle d’un projectionniste meurtrier, le cinéaste demande ainsi une rigueur absolue à son acteur. « Laurent, comme la plupart des réalisateurs avec lesquels je travaille, a un très fort rapport au cadrage. Paradoxalement, cela me laisse beaucoup de liberté dans mon jeu. »

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LE CERVO DE LA BANDE

Après un petit rôle de souffleur dans Saltimbank de Jean-Claude Biette en 2003, puis en tournant avec Laurent Achard ou Pierre Léon, Cervo s’est en effet choisi une famille de cinéastes aux univers stylisés qui donnent plutôt dans l’antinaturalisme, partagent un goût pour le dialogue, le cinéma populaire, les ruptures de tons et emploient souvent les mêmes acteurs (Jean-Christophe Bouvet, Serge Bozon, Axelle Ropert…). Autant de réalisateurs et acteurs héritiers de « l’école Diagonale » (du nom de la société de production fondée par Paul Vecchiali en 1976), mouvement caché et passionnant du cinéma hexagonal des années 1970-1980 qui regroupait, outre Vecchiali et Biette, Jean-Claude Guiguet ou Marie-Claude Treilhou. Vecchiali, qui a mis en scène Pascal Cervo en héros dostoïevskien dans Nuits blanches sur la jetée (2015), puis en figure romantique inspirée par Jean Genet dans C’est l’amour, nous confie aujourd’hui : « Pour moi, il est du niveau d’un Jacques Perrin ou d’un Robert Redford. Je ne pourrai plus jamais faire de film sans lui. » Dans son prochain long métrage intitulé Le Cancre, qui sortira en 2016, le cinéaste et son acteur fétiche joueront un père et son fils, aux côtés de Catherine Deneuve. Lui-même légataire de l’héritage laissé par les réalisateurs produits par Diagonale, Pascal Cervo a, depuis peu, amorcé une carrière de cinéaste à travers deux courts métrages prometteurs, Valérie n’est plus ici (2009) et Monsieur Lapin (2013), tous deux avec l’actrice Michèle Moretti. Ce dernier met en scène un veilleur de nuit mutique et mystérieux auquel on peut trouver des ressemblances avec Cervo lui-même quand, à un moment du film, il est invité à monter sur une scène par une prof de théâtre qui le remarque au hasard dans la rue. Celle-ci lui reproche de ne pas savoir parler de lui-même : « C’est quand même la moindre des choses lorsqu’on est acteur. » Elle l’enjoint à sortir de son silence ; ce qu’il récite alors est inattendu, énigmatique mais très incarné. Sans se livrer, l’acteur est à la fois impénétrable et surprenant.

Deux Rémi, deux
de Pierre Léon (1h06)
avec Pascal Cervo, Luna Picoli-Truffaut…
sortie le 2 mars