À quoi pensent les hommes quand la mort se rapproche et qu’il est temps de se préoccuper de ce qu’on va laisser derrière soi ? Au parachèvement de leur mythe, imagine-t-on souvent. Et Leonard Fife, le personnage principal du nouveau film de Paul Schrader, semble de cette trempe. Comment pourrait-il en être autrement pour un documentariste célèbre et célébré, qui accepte de donner une dernière interview à d’anciens étudiants alors qu’un cancer le ronge ?
Une fois planté devant la caméra dans son fauteuil roulant, pourtant, le mourant en décide autrement. Prenant sa femme, Emma (Uma Thurman), à témoin, il racontera l’histoire comme il l’entend. Et ce ne sera jamais pour l’embellir. Lui, l’incarnation de l’insoumission dans les années 1960, qui a préféré l’exil canadien à la participation à la guerre du Viêt Nam, qui a ensuite documenté les injustices et les violences du monde, a aussi été un petit homme lâche et vil. Oh, Canada emprunte alors des chemins inattendus.
Refusant toute linéarité, Schrader revient sur la vie de Fife grâce à des effets de superposition. Superposition de voix off qui se contredisent parfois, superposition de couleur et de noir et blanc, superposition d’acteurs, même. Au cours de la même séquence, la version jeune du documentariste (Jacob Elordi) est remplacée par son double plus âgé (Richard Gere, étonnamment émouvant).
Le film a le grand mérite d’être autre chose qu’une énième variation sur le temps qui passe. Pas tout à fait un biopic, loin d’une simple réflexion autour de ce que pourrait (ou devrait) être le cinéma, Oh, Canada est plus proche d’une entreprise de réparation. Sans qu’on s’y attende, une mélancolie douce s’échappe de ces confessions. À quoi pensent les hommes quand la mort se rapproche et que les femmes et les enfants abandonnés se rappellent à eux ? À dire la vérité, qui sans cesse se dérobe, pour, sûrement, espérer une forme de pardon.
Oh, Canada de Paul Schrader, ARP Sélection (1 h 35), en salle le 18 décembre