« No Beast So Fierce » : une relecture de Shakespeare frondeuse

Le cinéaste germano-afghan Burhan Qurbani (« Berlin Alexanderplatz », 2020) confirme tous ses talents de formaliste et de conteur de la violence contemporaine, avec cette adaptation survoltée du « Richard III » de Shakespeare, située à Berlin et portée par une héroïne révoltée.


No Beast So Fierce de Burhan Qurbani
No Beast So Fierce de Burhan Qurbani

Déjà auteur en 2020 d’une flamboyante adaptation contemporaine du roman Berlin Alexanderplatz, un drame qui nous plongeait dans les affres d’un réfugié, Burhan Qurbani se frotte à nouveau à l’exercice de la libre réinterprétation moderne en adaptant la pièce Richard III de William Shakespeare.

Tout se passe de nos jours à Berlin, où une guerre des gangs fait rage entre la famille Lancaster et la famille York. Sauf que le roi Richard a ici laissé sa place à une héroïne révoltée, Rashida (Kenda Hmeidan), la plus jeune des York, qui va brutalement prendre le pouvoir sur la pègre berlinoise. À travers son héroïne exilée et traumatisée par la guerre, No Beast So Fierce filme aussi les blessures dont on ne guérit pas et explore le désir ravageur de perpétuer un cycle de violence sans fin.

Avec sa mise en scène survoltée, quelque part entre le clip musical et l’installation théâtrale conceptuelle aux décors post-apocalyptiques, le film rappelle aussi la guerre du Golfe, qui a suivi l’invasion du Koweït par l’Irak au début des années 1990 et avait marqué la jeunesse du cinéaste de 44 ans, qui parvient à mêler ici de manière sidérante univers des gangsters berlinois et images de désert dévasté pouvant également évoquer la récente guerre civile syrienne.

Cette œuvre spectaculaire au casting tonitruant (également composé des excellentes Verena Altenberger, Hiam Abbass ou Mona Zarreh Hoshyari Khah) captive ainsi jusqu’au bout par son atmosphère visuelle autant tragique qu’électrisante.

No Beast So Fierce de Burhan Qurbani
No Beast So Fierce de Burhan Qurbani

Si les dialogues (alternant entre allemand et langue arabe) restent assez fidèles à l’esprit de ceux de Shakespeare, le cinéaste et sa coscénariste Enis Maci ont pris quelques franches libertés avec l’intrigue originelle, en insistant sur la difficulté universelle des femmes à intégrer les cercles du pouvoir. La modernité du récit tient aussi à la façon dont le cinéaste, au-delà de ce tableau très noir, tente d’ouvrir un bref horizon d’espoir, à travers une histoire d’amour lesbienne qui prend les airs d’une possible rédemption.

: No Beast So Fierce de Burhan Qurbani (Pan Distribution, 2h30), sortie le 26 mars