À la suite de la noyade de leur fille dans leur cottage anglais, Laura et John Baxter (Julie Christie et Donald Sutherland) partent à Venise pour se reconstruire. Pendant que John se consacre à la restauration d’une église, Laura se rapproche de deux sœurs, dont l’une communique avec les morts. Considéré il y a encore vingt ans comme une rareté culte, Ne vous retournez pas a été réévalué mondialement, jusqu’à atteindre le statut (mérité) de classique du cinéma fantastique. S’il est impossible aujourd’hui de nier son influence sur David Lynch (la couleur rouge symbole de mort, la figure cauchemardesque du nain) ou sur Christopher Nolan (la construction en mosaïque temporelle), il a souffert à sa sortie de sa réputation sulfureuse, qui lui valut d’être classé X en Angleterre.
En cause, la scène d’amour entre les deux stars, jugée trop crue pour l’époque – il se racontait qu’il s’agissait de sexe non simulé, ce qui poussa Warren Beatty, alors en couple avec Julie Christie, à intervenir auprès du réalisateur. Le temps ayant fait son œuvre, on ne peut qu’admirer l’intelligence de cette séquence dans laquelle Roeg monte en parallèle l’acte, d’une tendresse et d’une justesse rarissimes au cinéma, et ce qui se passe juste après – les amants se rhabillent, chacun de son côté.
Bien plus qu’un gimmick voué à apaiser la censure, ce dispositif cristallise l’insondable mélancolie du film : l’instant de grâce, tandis qu’il se déroule, est déjà passé. Une manière de parler du deuil, ce tunnel de douleur et de culpabilité qui peut s’allonger, sans prévenir, quand on croit en voir le bout. Sortant de l’hôtel le cœur content, Laura et John vont ainsi se perdre dans les ruelles lugubres de Venise. « J’ai trouvé le chemin ! » s’exclame Laura. « Nous sommes déjà passés par ici », rétorque John. Dans ce labyrinthe rongé par les eaux, l’amour et la mort flottent main dans la main.
Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (Potemkine, 1 h 52), ressortie le 16 septembre