« Pour vous rendre méconnaissable / La dépouille de l’âne est un masque admirable. » (Peau d’âne)
Agnès Jaoui : Le déguisement est le premier pas vers l’interprétation. Petit, on se déguise en princesse, en pirate, et ça m’est resté. Je voulais pour les costumes du film quelque chose d’assez intemporel, qui permette d’évoquer tel ou tel conte.
« Alors le Roi (…) se souvint de la prédiction des Fées, et jugeant bien qu’il fallait que cela arrivât, puisque les Fées l’avaient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d’or et d’argent. » (La Belle au bois dormant)
Jean-Pierre Bacri : On a vite élargi le thème premier du conte de fées à toutes les sortes de superstitions, de croyances. C’est comme ça qu’on est arrivés à la prédiction du film, une voyante qui annonce à Pierre la date de sa mort. Les êtres humains ne peuvent pas être tout seuls dans le noir, dans le néant. Il faut bien s’appuyer sur quelque chose, et tout est bon à prendre, que ce soit l’astrologie, Dieu ou la date de sa mort.
« Est-ce vous, mon Prince ? lui dit-elle. Vous vous êtes bien fait attendre. » (La Belle au bois dormant)
A. J. : J’avais très envie de dire aux jeunes filles de ne pas attendre d’être révélées par un homme. C’est une grande constante des contes de fées, et ces archétypes féminins continuent à peser sur nos frêles épaules.
J.-P. B. : Pas si frêles que ça, les femmes sont résistantes. Elles sont douces et résistantes.
« Qui ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus dangereux. » (Moralité du Petit Chaperon rouge)
A. J. : Il y avait deux possibilités pour le loup du film. Soit qu’il ait d’abord l’air d’un prince charmant ; soit, comme dans le conte, que ce soit clairement un loup dès le départ, à la fois effrayant, repoussant et attirant. Et Benjamin Biolay incarne parfaitement ce loup moderne.
« Il fallut en venir enfin / Aux servantes, aux cuisinières / Aux tortillons, aux dindonnières / En un mot à tout le fretin. » (Peau d’âne)
J.-P. B. : Même si c’est encore très cloisonné, la société a changé, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on s’est amusés à tordre un peu le conte et à faire de Cendrillon un garçon qui s’appelle Sandro. C’est lui qui perd sa chaussure.
A. J. : Dans les émissions de téléréalité, si on prend la célébrité comme la nouvelle aristocratie, on aime l’idée qu’une bergère accède d’un coup de baguette magique au statut de princesse. Ça continue à faire rêver dans les chaumières.
« La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d’une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. » (La Belle au bois dormant)
J.-P. B. : Il n’y a pas trop d’aspects fantastiques dans le film…
A. J. : Si, la scène de la chaussure par exemple.
J.-P. B. : La chaussure, c’est pas fantastique, ça, la chaussure.
A. J. : Si, fantastique dans le sens qui s’éloigne du réalisme pur. Je peux te dire qu’on s’est quand même posé la question de pourquoi Sandro ne remonterait pas tout simplement chercher sa chaussure perdue… Au niveau de la réalisation, je voulais rendre le quotidien merveilleux. Pour le bal, par exemple, je me suis souvenue d’une fête aux Frigos de Paris.
« Et qu’il est des temps et des lieux / Où le grave et le sérieux / Ne valent pas d’agréables sornettes. » (Peau d’âne)
J.-P. B. : La réalité, c’est qu’on est incapables d’écrire au premier degré. Finalement, l’humour c’est une distance, il suffit de prendre un petit peu le large et la tragédie devient une comédie.
A. J. : C’est aussi qu’on aime rire et observer ce qu’il y a de drôle et de triste dans les malentendus, dans l’incommunicabilité. Un de mes voisins qui a vu le film m’a dit : « Ma femme à ri tout du long, et moi j’ai pleuré. »
Au bout du conte d’Agnès Jaoui,
scénario de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui(1h52)
avec : Agathe Bonitzer, Arthur Dupont…
sortie : 6 mars