On débarque dans Motel Destino de Karim Aïnouz comme un touriste hébété, sur ses gardes, étourdi par les couleurs criardes d’un paradis intranquille : bleu électrique, rouge sang, jaune aveuglant. Le sexe rôde, la mort aussi, sur cette plage grandiose où deux frères en slip jouent à la bagarre. Quelques scènes plus tard, l’un d’eux sera assassiné. Vision fugace. Le motel, au cinéma, trimballe avec lui les imaginaires de la marge : un lieu où l’on se planque, où l’on tire un coup vite fait, où l’on crève de manière violente et anonyme. Le motel est le théâtre de la perdition, du deuil impossible, le dernier refuge avant l’anéantissement. Celui de Karim Aïnouz est tout cela à la fois, amplifié par des couleurs saturées. Tous les plans exsudent le sexe. On pourrait presque sentir le parfum lancinant des bordels, bestial et artificiel : un mélange de sperme, de sueur, et de pastilles à la menthe.
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Une odeur irrésistiblement dégueulasse. Ce motel est habité par un voyeurisme d’ordre carcéral, et les étreintes, au-delà des filtres de couleur, sont triviales, crues, réalistes. Sur les pas de Heraldo, le jeune héros traqué, un glissement imperceptible s’opère, du pastiche de la pornochanchada – comédie pornographique populaire des années 1970 – vers les ténèbres du film noir. Destino. Destin. Fatalité. La trame du film rappelle celle du Facteur sonne toujours deux fois, mais le regard de Karim Aïnouz sur Heraldo évoque celui de Luchino Visconti sur Gino, le vagabond des Amants diaboliques.
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Ce film aux contours flous, à l’érotisme atmosphérique et malade, m’a rappelé une nuit d’ivresse dans le nord-est du Brésil quand j’avais 20 ans. Une nuit où j’avais été emportée de bar en bar par une bande de Brésiliens joyeux. Après un bain nocturne, nous avions voulu retourner danser, mais on m’avait refusé l’entrée de ce dernier bar au motif que, la veille, une touriste aux cheveux ébouriffés comme moi s’était fait trancher la gorge ici pour quelques dollars. L’envoûtement sensuel s’était évanoui et j’avais dessoulé en un instant. J’ai eu la sensation de revivre cette nuit-là avec Motel Destino. Un condensé du Brésil qui laisse K.-O., à nu, sur le bord de la route, incertain de ce qu’on a réellement vécu – ou si on l’a même vécu.
Motel Destino de Karim Aïnouz, Tandem (1 h 55), sortie le 25 décembre