Mohammad Rasoulof : « J’ai été très influencé par ‘‘Shining’’ de Stanley Kubrick »

[INTERVIEW] On a profité d’une rencontre express avec le réalisateur iranien au Festival de Marrakech (où il donnait une masterclass) pour prendre de ses nouvelles, six mois après la présentation à Cannes de son puissant « Les Graines du figuier sauvage » (Prix spécial du Jury) et glaner quelques indices sur sa cinéphilie.


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Mohammad Rasoulof au Festival de Marrakech 2024 © TROISCOULEURS

En mai dernier, quelques jours avant votre sélection à Cannes, vous avez décidé de fuir l’Iran après une condamnation à huit ans de prison pour « collusion contre la sécurité nationale ». Six mois après, comment vous sentez-vous ? 

L’Iran me manque mais je suis très heureux de la trajectoire de ce film, de son voyage qui se prolongeet que la voix des personnes qui se sont mises en danger pour le faire soit de plus en plus entendue [récompensé du Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes, le film est sorti en France en septembre. Le réalisateur en assure sa promotion dans le monde entier. Avant d’être invité au Festival de Marrakech, il était président du jury au Festival de Busan ndlr].

Mon travail sera fini quand le voyage du film sera fini. Mes collaborateurs ont vraiment fait preuve de sueur et de sacrifices pour participer à ce projet [les trois actrices du film, Niousha Akhshi, Mahsa Rostami et Setareh Maleki, ont également été contraintes à l’exil après le tournage, ndlr]. La moindre des choses, c’est de continuer de parler d’eux et du film.

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Votre film, qui raconte le mouvement de révolte iranien Femme, vie, liberté1 en se concentrant sur le quotidien d’une famille, met en scène des personnages féminins forts. Avez-vous demandé aux jeunes actrices de regarder des films en particulier pour s’inspirer ?

Je ne demande jamais à mes acteurs de regarder des films. Par contre, on échange beaucoup en amont du film et on analyse le personnage. Sa façon d’exprimer ses sentiments, ses prises de positions. Mais on s’inspire plutôt de modèles réels que du cinéma.

Pour autant, le cinéma s’infiltre dans le processus de création.  En écrivant le scénario, je me suis rendu compte que j’étais très influencé par Les Chiens de paille de Sam Peckinpah [réalisé en 1971, le film raconte l’histoire d’un mathématicien qui émigre en Cornouailles dans le sud-ouest de l’Angleterre et qui, confronté à l’hostilité des locaux, a recours à une forme de violence qu’il condamne pourtant, ndlr] et Shining de Stanley Kubrick [réalisé en 1980, le film raconte la descente dans la folie d’un père de famille, ndlr]. J’assume tout à fait ces sources d’inspirations.

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Quel est le méchant de cinéma le plus réaliste ? Vous a-t-il inspiré le personnage du père dans Les Graines du figuier sauvage

Mes inspirations n’ont été que des personnes réelles. Des gens que j’ai beaucoup observé pendant toutes ces années d’interrogatoires, d’emprisonnement et de fréquentation des autorités en Iran [en 2010, le réalisateur a été condamné à un an de prison pour actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran  ; en 2017, après la sortie de son film Un homme intègre, les autorités de son pays lui confisquent son passeport et le convoque à des interrogatoires ; en 2022, il est à nouveau condamné à un an de prison, ndlr]. Mais si je devais choisir un méchant de cinéma que j’aime, ce serait Jack Torrance dans Shining.

Un film qui vous apporte du réconfort ? 

Le vent nous emportera d’Abbas Kiarostami [sur un ingénieur de Téhéran qui se rend dans un village du Kurdistan iranien, sous le prétexte de faire des recherches sur les traditions locales, ndlr.] Pour sa philosophie, sa vision de l’existence et la célébration des valeurs humaines, qui peuvent nous échapper alors qu’on fait tout pour les avoir et qui peuvent surgir alors que vous ne faites rien pour les avoir. 

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le vent nous emportera
Le vent nous emportera d’Abbas Kiarostami (1998) © mk2 Films



  1. 1. ce mouvement de révolte iranien a débuté en 2022, après la mort de Mahsa Amini (une jeune étudiante iranienne d’origine kurde de 22 ans, arrêtée à Téhéran par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés) le 16 septembre. Des manifestations s’organisent spontanément dans le pays après cet événement, et les manifestants, en Iran comme à l’international, reprennent le slogan « Femme, vie, liberté » pour protester contre le régime iranien, appelant à la fin des oppressions systémiques envers les femmes et les minorités. ↩︎