Lola de Jacques Demy (1961)
Au début des années 1960, la Nouvelle Vague est en pleine effervescence et Michel Legrand, arrangeur et jazzman à la renommée déjà internationale, devient l’un des compositeurs les plus emblématiques du mouvement (avec George Delerue dont il dira « On se disputait tout le temps le studio ») Sur Lola, premier long métrage de Jacques Demy avec qui il collaborera sur neuf films, Michel Legrand remplace au pied levé Quincy Jones d’abord pressenti pour composer la musique. Il signe ici l’une de ses plus belles rêveries musicales, accompagnant Roland dans le passage qui pense à Lola, une danseuse de cabaret, dans le passage Pommeraye à Nantes.
Une femme est une femme de Jean-Luc Godard (1961)
La même année sort Une femme est une femme, une comédie chantée et signée Jean-Luc Godard. Comme dans Lola, Angela (Anna Karina) est danseuse et chanteuse. Elle se produit quotidiennement dans un petit cabaret à Paris. À propos du film, Michel Legrand déclare dans un entretien avec Stéphane Lerouge pour la collection de CD Écoutez le cinéma : « Curieusement, le film est devenu une comédie musicale a postériori. Devant le premier montage, je lui ai soufflé (à Godard, ndlr.) : « Sans le savoir, tu as tourné un musical. Si tu es d’accord, je vais glisser de la musique partout, y compris sur, sous et entre les dialogues… » Michel Legrand travaillera à nouveau avec le cinéaste en 1962 pour Vivre sa vie, en 1964 pour Les Plus belles escroqueries du monde, coréalisé avec Claude Chabrol, puis Bande à part la même année.
Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (1962)
En 1962, Agnès Varda sort Cléo de 5 à 7, son deuxième long métrage qui suit, en temps réel et pendant une heure et demie, la vie d’une jeune femme qui a peur d’avoir un cancer et attend ses résultats médicaux. Varda demande à Legrand, complice de son compagnon Jacques Demy, de composer les thèmes musicaux tandis qu’elle se charge des paroles. Parmi les nombreuses mélodies qui habitent le film, la plus belle reste la mélancolique « Sans toi ». Dans cette séquence, Cléo, accompagnée au piano par Michel Legrand lui-même, déclame magnifiquement le texte sur des notes d’une profonde tristesse.
Le Joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme (1962)
« Chris, c’était le plus grand des plus grands » c’est dans ces termes chaleureux que Michel Legrand se souvient de l’artiste et cinéaste dans l’émission Cinéma Song de France Culture en 2013. En 1963, Chris Marker filme avec Pierre Lhomme 55 heures d’entretiens avec des Parisiens pour son documentaire Le Joli mai. Legrand aurait composé à l’aveugle, sans voir aucune image du film, selon son inspiration du moment et avec quelques simples indications des réalisateurs. Néanmoins, il parvient quand même à transmettre au spectateur l’effervescence de la ville avec sa musique tantôt ardente et jazzy, tantôt sobre et élégante comme avec ce piano seul du générique de fin.
Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (1964)
Les Parapluies de Cherbourg est un projet qui a mis beaucoup de temps à se concrétiser parce que Jacques Demy et Michel Legrand ont eu de la peine à convaincre des producteurs qu’un film entièrement chanté aurait du succès en France. Les deux complices travaillent sur la musique et les paroles dès 1961 dans la résidence du cinéaste à Noirmoutier. Pendant huit mois, Legrand joue ses compos tandis que Demy les chante et ajuste les mélodies. Un travail qui a porté ses fruits puisqu’en 1964 Les Parapluies de Cherbourg décroche une Palme d’or. Cette séquence dans laquelle Guy doit quitter Geneviève pour faire son service militaire en Algérie est pour nous la plus belle complainte amoureuse au cinéma – pas moins.
Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967)
Après la mélancolie des Parapluies…, Legrand retrouve Demy sur un film beaucoup plus solaire, une comédie musicale à la française, pour beaucoup le chef-d’œuvre du binôme. Dans une interview à L’Express en 2009, le musicien raconte : « La musique des Demoiselles, qui devait être lumineuse, m’a demandé un travail dingue, beaucoup plus difficile que celui que j’ai effectué pour Les Parapluies... Je recherche toujours des mélodies « naturelles », évidentes à l’écoute, mais j’obtiens souvent ce résultat au prix d’un long effort. »
L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison (1968)
Après une nomination aux Oscars pour Les Parapluies…, Michel Legrand s’installe à Los Angeles. Ce sont ses amis Quincy Jones et Henri Mancini qui l’introduisent à Hollywood. Sa première bande originale pour un film hollywoodien, c’est pour L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison. Avec les paroliers Alan et Marylin Bergman, il compose la célèbre chanson du film « The Windmills of Your Mind », dont l’interprète original est Noel Harrison. La chanson a ensuite connu de nombreuses reprises, en anglais (Dusty Springfield, Petula Clark…) ou en français (Sylvie Vartan, Jeanne Mas, Claude François) sur des paroles d’Eddy Marnay.
Oum le dauphin blanc de Vladimir Tarta (1970-1971)
On a découvert cette pépite dans nos recherches : Michel Legrand signe et interprète le générique de cette série animée bien vintage sur les aventures d’un dauphin, premier dessin animé français réalisé au Japon. C’est son collègue Vladimir Cosma qui se charge des orchestrations. Gros casting musique pour le petit Oum.
Dingo de Rolf de Heer (1992)
Beaucoup d’œuvres de Michel Legrand sont devenues des standards de jazz (Chet Baker et Bill Evans ont par exemple donné leur version jazzy de sa chanson « La Valse des Lilas »). Avec Miles Davis, avec lequel il avait déjà travaillé en 1958 sur Legrand Jazz (album dans lequel il dirige des grands noms comme John Coltrane, Bill Evans, Donald Byrd), il compose en 1992 la bande originale du film Dingo de Rolf de Heer, une biographie romancée du grand Miles. Dans les notes qui accompagne une réédition de Legrand Jazz, Legrand raconte : « Un an avant sa mort, Miles m’a appelé à Paris et m’a dit : « La grenouille — il m’appelait toujours “la grenouille” — amène-toi à Los Angeles ! Nous allons réaliser une bande originale de film ensemble ! » (…) Mais plutôt que de travailler, nous avons beaucoup bu, mangé, parlé et écouté de la musique. À un certain moment, je lui ai dit : « Miles, nous sommes censés entrer en studio dans quatre jours, un gros orchestre va nous y attendre, et nous n’avons rien ! » Il m’a répondu : « Laisse tomber. Contentons-nous d’avoir du plaisir ». Finalement, je lui ai dit : « J’ai une idée. Reste ici. Je vais tout écrire seul, préenregistrer avec l’orchestre, et le jour suivant tu t’occuperas de tes parties de trompette ». « Michel, tu es un génie ». On est plus que d’accord.
Bonus
Faites entrer l’accusé (2000 – ?)
Ce n’est pas directement Michel Legrand qui a composé le générique de l’émission de Christophe Hondelatte sur les faits divers (il est signé par Jean-Marie Léau et Raphaël Tidas) mais disons qu’il s’inspire pas mal du thème du film Le Messager (1972) de Joseph Losey, mis en musique par Legrand. On vous laisse comparer.