Il y a des cinéastes que l’on reconnaît à leurs couleurs. Elie Wajeman est de ceux-ci. Son troisième long-métrage, Médecin de nuit, démarre comme Alyah, son premier : ciel gris parisien sur décor laiteux, la ville s’enfonce dans le bleu de la nuit. Saphir, cobalt, Klein, celle-ci aura tous les pigments, magnifiée de bout en bout par les flous, flares et bokehs.
Entièrement nocturne, ce film saisit la traversée de la ville interlope d’un médecin parisien. Dans sa Volvo, Mikaël (Vincent Macaigne) est au volant d’une vie qui part à vau-l’eau, en perdition sentimentale entre sa femme et sa maîtresse, et entraîné par son cousin pharmacien (Pio Marmaï) dans un dangereux trafic d’ordonnances de Subutex.
Chaîne en or, cheveux gominés et blouson noir, Macaigne étonne dans ce rôle de bon samaritain patibulaire au chevet des abandonnés des quartiers difficiles, des toxicos et des dépressifs – des marginaux qui ont toujours été dans le champ de caméra du réalisateur des Anarchistes. Et c’est là la force du film : l’interprétation contrastée de Macaigne.
Physiquement transformé, loin de ses rôles habituels de gentil indécis, l’acteur apparaît plus noir, plus trouble, et brille dans ce registre nouveau. Mais ses yeux trahissent sa mélancolie naturelle, celle que l’on connaît, et qui transmet ici un malaise existentiel. Le film est une déclaration d’amour à la nuit, à ces heures qui échappent à la productivité, où les solitudes sont exacerbées et les rencontres, plus sincères. Un voyage teinté de spleen.