
Devant Magma, on a l’impression que vous avez été vulcanologue toute votre vie. Quand on voit Les Idoles, vous disparaissez pour devenir Hervé Guibert. Comment se glisse-t-on à ce point dans le costume de personnages aussi éloignés de soi ?
Marina Foïs : C’est à la fois du travail et du lâcher-prise, une part qui incombe à l’acteur est de faire le travail de recherche pour comprendre le texte : comprendre les mots, les faire sonner comme il faut… C’est une question de réflexe presque. Il faut que ces mots deviennent les vôtres. Comme si vous aviez toujours dit ce texte.
Mais tout ce travail préparatoire doit laisser, ensuite, toute la place à la mise en scène. C’est l’œil de l’autre qui vous rend crédible. C’est la façon qu’il a de croire dans le rôle qui vous pousse à être le plus juste possible. Je pourrais vous dire que tout tient sur mes épaules, mais c’est toujours un travail d’équipe en fait. Plus j’avance dans ma carrière, plus je comprends tout ce que je dois aux metteurs en scène. On n’est rien sans la mise en scène.
Et tant mieux si le public ne s’en rend pas forcément compte. Une idée, si elle est trop visible, un mouvement de caméra si on le sent trop, c’est qu’il est mal foutu. Tout ça tient d’un truc un peu magique, invisible. C’est injuste, mais c’est comme ça. C’est pour ça que nous, les acteurs et les actrices, qui sommes au cœur du procédé, on doit rendre à César ce qui est à César.
Pour Cyprien Vial, il était évident que vous seriez totalement crédible en vulcanologue… Quand vous entendez ça, vous vous dites que vous avez raté une vocation ?
Je suis plein de choses mais je ne suis pas du tout scientifique. Les cailloux, mon Dieu… Jamais ça ne pourra me passionner. Ce que vous voyez dans le film, mon regard face à un morceau de terre qui se décroche, c’est du mensonge de qualité, monsieur ! C’est un truc étrange de se découvrir dans le regard des autres. C’est pour ça que ce métier est si beau. Je ne sais pas pourquoi Cyprien voit en moi une scientifique. Je crois qu’il a surtout vu en moi l’obsession. J’ai souvent joué des personnages qui ne lâchaient rien. Et cette femme, elle a dédié sa vie à son métier. Ça, c’est plus proche de moi, déjà…
Quand est-ce que vous avez l’impression d’être dans une zone de confort ?
Je déteste le confort. Ça m’angoisse le confort. C’est un piège. Donc je cours constamment après le nouveau, l’unique. Tout ce qui m’oblige à me mettre en mouvement. Je ne fais pas ce métier pour être dans le confort. Je le fais pour être tout ce que je ne soupçonnais même pas que je pouvais être. J’ai un côté tête brûlée. Il faut qu’il se passe quelque chose. Ça n’a rien à voir avec le danger. Ça, c’est idiot comme mot, quand on est un acteur ou une actrice. Non, ça a à voir avec le lâcher-prise. C’est pour ça que je choisis très précisément les metteurs en scène avec qui je travaille. Si je me sens en confiance, si je sens qu’il y a un regard, alors il faut y aller. Mais j’ai la chance aussi que ces metteurs en scène viennent à moi et me proposent des rôles très différents. Alors j’imagine que c’est un cercle vertueux.

C’est difficile de vous mettre dans une case, dans un genre…
J’essaie toujours d’échapper aux stéréotypes. C’est difficile mais je crois que c’est une exigence qu’il faut avoir avec soi. Chez les bons metteurs en scène, qui ont des bons scénarios, qu’ils les aient écrits ou qu’ils les aient fait écrire, il y a rarement des personnages stéréotypés.
Après, en travaillant avec Rodrigo Sorogoyen [elle est l’héroïne d’As Bestas, ndlr] j’ai compris qu’il y a une part de cliché qu’il faut assumer. Parce que le cliché, il ne vient pas de nulle part. C’est un langage, c’est un moyen de raconter. On pense aussi en idée plaquée. En fait, il faut n’avoir peur de rien. Et surtout pas de l’ambivalence. On veut trop ranger les choses dans des cases, aujourd’hui. On nous demande de nous définir. Mais on est tous complexes et plein de paradoxes. On est à la fois un cliché et quelqu’un d’unique. Si vous commencez à discuter avec ces gens, vous allez forcément être surpris. J’ai la chance de faire un métier qui me permet de vivre toutes ces vies et d’échapper à l’ennui.
« Ma féminité n’est jamais un obstacle ou une limite. Je refuse de penser comme ça. »
C’est aussi une question d’audace aussi, non ? Quand Christophe Honoré vous propose d’incarner l’écrivain Hervé Guibert, vous n’avez pas hésité….
J’ai dit oui à Christophe avant qu’il prononce le « ber » de Guibert. Je suis de la fameuse « génération Sida ». Je suis née en 1970 et j’ai grandi et passé mon adolescence au cœur du milieu gay. J’ai enterré beaucoup de gens. Beaucoup. J’avais 16 ans et je vivais avec des mecs qui en avaient 30. J’ai toujours vécu avec des gens plus âgés que moi.
Et très vite, je m’en rappelle, la maladie a fait son entrée dans ma vie. Quand je repense aux années 1990, je pense au Sida et aux enterrements. J’ai 21 ans quand Guibert sort À l’Ami qui ne m’a pas sauvé la vie [en 1990, sur son amitié avec le philosophe Michel Foucault et la mort de celui-ci, ndlr]. Je le lis d’une traite et j’ai l’impression qu’il raconte ma vie. C’est mon histoire. Il a mis des mots, des phrases, des émotions sur ce que je vivais au quotidien. Les coups de fil… Je me rappelle les coups de fils. On attendait de savoir qui serait le prochain à nous annoncer la pire des nouvelles. On allait ensuite les voir à l’hôpital.
Tout ça, c’était très concret. Moi, je regardais ça, un peu protégée. J’avais une vie sexuelle d’hétéro, j’étais très en couple. Et je voyais la peur, la honte chez des gens que j’aimais…C’est pour ça que Christophe n’a pas eu à me convaincre. Ça n’a rien à voir avec l’audace. C’est viscéral. Ce spectacle, je devais le faire.
À LIRE AUSSI Les Idoles de Christophe Honoré : vues du ciel
« Je crois que ça sert à ça les livres, les films : faire de ce qui m’est étranger quelque chose de familier et de ce qui m’est trop familier quelque chose d’étranger. »

Rien ne vous relie à lui et pourtant, très vite, pour les spectateurs, vous êtes Guibert… Qu’est-ce qui vous aide à l’incarner ? Le costume ?
Je ne me suis jamais posé la question de mon corps, de mon genre pour jouer Guibert. Ma féminité n’est jamais un obstacle ou une limite. Je refuse de penser comme ça. Et puis à partir du moment où je savais que Christophe allait proposer à Marlène Saldana de jouer Jacques Demy, je me suis libérée du poids du « biopic ». Il était hors de question d’imiter. Déjà, pour une raison très simple : on n’imite pas la maladie. On ne peut pas représenter le corps malade sans être obscène. Je pense à Claude Lanzmann quand il dit à propos de la Shoah : « On n’a pas le droit de sous-représenter. » Il faut aller ailleurs, chercher d’autres moyens de raconter. C’est ce chemin là que nous a proposé Christophe.
À LIRE AUSSI Shoah : aux origines de l’immense documentaire de Claude Lanzmann, projeté à la Berlinale
Dans la pièce, vous incarnez Guibert mais vous dites aussi du Guibert, notamment dans un long monologue. Quel rapport vous avez avec le texte ? Avec les mots des autres ?
C’est le guide absolu. La voix de Guibert on peut l’entendre encore mais ce sont ses mots qui m’emportent. J’aime le rythme de ses phrases, son vocabulaire… J’aime qu’il soit trash et technique. J’ai mon histoire avec le Sida. Donc dans ces mots, quelque chose de ma vie passe. Je crois que ça sert à ça les livres, les films : faire de ce qui m’est étranger quelque chose de familier et de ce qui m’est trop familier quelque chose d’étranger.
Les Idoles comme Magma posent chacun à leur manière un regard critique sur la gestion d’une catastrophe par les pouvoirs publics. La menace du volcan et le déplacement des populations d’un côté, le silence des années 1990 face à l’épidémie du Sida de l’autre…
C’est difficile de ne pas être en colère aujourd’hui. Mais la rage était déjà là dans les années 1990. 120 Battements par minute, le film de Robin Campillo [Grand prix à Cannes en 2017, qui revient sur les actions du groupe militant d’Act-Up Paris dans les années 1990, en pleine pandémie du Sida, ndlr], le montre très bien. Les pouvoirs publics, le grand public, tout le monde s’en foutait. C’était comme si le Sida était pour eux une malédiction, une punition. Le « cancer gay ». Tant que c’étaient les homosexuels et les toxicomanes qui mourraient, la société pouvait vivre avec ça. Elle n’était pas vraiment concernée, tout allait bien. Ce n’était pas « si grave ».
On a créé Les Idoles en 2018 avant la pandémie. Le rejouer aujourd’hui a un autre goût. Parce qu’on a des images, un vécu précis de ce que c’est qu’une épidémie. Mais pendant le COVID, tout le monde était impliqué. On est tous resté chez nous… On protégeait nos vieux. Parce que tout d’un coup, on avait de l’empathie pour les malades. Des personnes âgées, fragiles mais surtout intégrées par la société. Il y avait de la bienveillance. Tout l’inverse de ce qui s’est passé avec le Sida.
À LIRE AUSSI Le VIH/sida à l’écran : cinéma = pouvoir
On vous sent émue de replonger dans vos souvenirs…
Je ne suis pas séropositive. J’ai échappé à cette maladie. Je n’en ai été que la témoin, la spectatrice. Donc mon émotion, elle est celle de ceux qui restent. Chaque soir, je refais le chemin. Peut-être que je serai contente d’arrêter, dans deux mois [l’entretien a été réalisé à la mi-février, ndlr], de chaque soir convoquer ces fantômes de mon passé, mais pour l’instant, je suis heureuse de leur redonner de la voix. Après, tout va bien. J’ai ma vie, ma famille, mes amis et le reste c’est mon métier. Quand je quitte ce théâtre, je suis moi. Mais peut-être que le fait de rejouer ce texte, ça me rappelle en ce moment, le matin quand je me lève, que le monde est un peu plus juste qu’à cette époque-là.
Vous êtes optimiste ?
Ce n’est pas le bon mot. J’essaie juste de tirer des leçons du passé et de voir la route au loin. Je veux croire qu’on a quand même fait du chemin sur l’homophobie. Je pense qu’aujourd’hui, s’il y avait à nouveau une épidémie massive qui touchait les jeunes gays, il y aurait plus de bienveillance. Je suis peut-être naïve. Je sais qu’il y a encore beaucoup de discriminations…Mais je crois à la force du collectif. Pendant longtemps, tout ça c’était très tabou.
Le film de Robin Campillo, comme le travail que fait Honoré avec cette pièce, pose un état des lieux. On arrête de se raconter des histoires et on regarde le passé en face. On a beaucoup de mal avec ça en France. On a la chance d’avoir des artistes comme Jean-Luc Lagarce, Hervé Guibert, Cyril Collard qui ont fait œuvre en direct de cette période [tous sont des personnages de la pièce de Christophe Honoré, ndlr]. C’est ce que raconte Christophe dans la pièce. Mais c’était mis à l’écart, à part. Il ne fallait pas trop en parler. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, je pense que tout serait plus médiatique.

Jouer ce texte aujourd’hui, à l’heure des populismes, ça résonne très fort. Est-ce que vous arrivez à être sereine sur l’époque ?
Je trouve que tout dans cette époque est à la fois merveilleux et effrayant. En ce moment, le « effrayant » prend quand même beaucoup de place. La haine est de plus en plus décomplexée. Ça paraît des grands mots, comme ça. Mais Donald Trump par exemple, c’est très concret. Le mec est en train de mettre la vie des gens en danger.
Encore une fois, je ne suis pas Américaine, je n’ai pas d’enfants trans, mais quand je lis la panique de ces familles aux Etats-Unis, je me sens désemparée. Ça me terrifie.
Tous ces mecs nous font perdre un temps fou. Ils pensent qu’on va repartir en arrière alors qu’ils ne font que nous ralentir. Je parle des Etats-Unis mais la France aussi… La Manif pour tous, j’avoue que je ne savais même pas quoi dire à l’époque. Je ne comprends pas. Il faut que je fasse un effort mental pour comprendre à partir de quel moment on sort de chez soi pour interdire à d’autres des droits que nous, on a. Pareil sur les questions de genre.
Quelle perte de temps de discuter avec ces gens qui ne veulent pas comprendre. Et en même temps, et c’est tout le paradoxe dont je parlais, la même année, Emilia Perez, le film de Jacques Audiard, est en tête des nominations des César et des Oscars [le film a depuis remporté sept prix aux César, et deux aux Oscars, ndlr]. Et ça me fait plaisir de voir ça. Le monde avance. Ne laissons pas ces gens nous ralentir. Je crois qu’il faut garder la joie et la certitude que ça va aller. Sinon, autant crever tout de suite. Le pire ne peut pas triompher partout, tout le temps, c’est une certitude. Ce sont des cycles. Apparemment, là, bon on n’est pas dans le bon cycle…
La politique, ça ne vous a jamais tenté ? On vous a vue récemment en simili Sandrine Rousseau dans En place, la série de Jean-Pascal Zadi. Et vos choix de films ou de pièces résonnent souvent avec vos convictions…
C’est un truc très noble, je trouve. Ce n’est pas mon endroit. Je préfère être un témoin. Le cinéma témoigne, le théâtre témoigne. Et je crois que c’est essentiel à une démocratie. Ça a ses limites, bien sûr. Mais quand je choisis de faire Magma ou Les Idoles, j’ai ça en tête. Ce sont des œuvres qui racontent une réalité. J’ai quand même l’impression qu’on vit une époque où il faut rappeler les bases constamment. Parler correctement à son livreur qui a traversé tout Paris sous la pluie pour t’amener ton plat que tu avais la flemme d’aller chercher, ça ne me semble pas être un geste politique dingue. Payer correctement sa baby-sitter, ne pas violer son prochain… La base. Mais dire des choses comme ça, aujourd’hui, c’est considéré comme du militantisme. C’est fou.
Dans Magma, j’aime la façon dont le scénario amène Katia à se remettre en question et à comprendre qu’elle ne peut pas prendre des décisions à la place de gens qui vivent sur cette île depuis bien avant elle. J’aime beaucoup la façon dont le film est aussi le récit d’un personnage qui apprend à se décentrer. Le film n’est jamais une démonstration politique et tant mieux. Ce n’est pas le rôle du cinéma de donner des leçons.
« Rien ne remplace l’expérience des corps. Ce que tu vis dans ta chair a plus de force que tous les discours. »
Au centre des Idoles, vous avez ce très long et très beau monologue. Guibert raconte la mort de Michel Foucault. Ce qui frappe dans les mots, c’est la façon dont on l’a infantilisé à la fin de sa vie. Ça fait écho à ce qu’on reproche au personnage de Katia et la façon qu’elle a de parler à la population inquiète…
Je déteste qu’on m’infantilise. On les connaît, nos hommes politiques français qui nous ont parlé et nous parlent encore beaucoup comme à des idiots. Ça doit les rassurer. Tout ça manque d’humilité et de bienveillance. Ces mecs devraient avoir l’humilité de dire en plein débat : « Ce problème-là, je ne le comprends pas. Il ne me concerne pas. Je vais écouter celles et ceux que ça concerne. » Et on devrait avoir la bienveillance d’accepter qu’une seule personne n’ait pas toutes les réponses et toutes les solutions. On réduit les gens à des idées, à des statistiques. Ce sont des chiffres.
Vous avez raison, c’est ce que raconte en creux le texte de Guibert. Foucault, malade en secret, n’est plus le grand penseur, n’est plus l’homme, l’ami, l’amant. Ce n’est plus tout à fait un corps. C’est une donnée qu’il faut gérer. Comme la population dans Magma. Mais rien ne remplace l’expérience des corps. Ce que tu vis dans ta chair a plus de force que tous les discours. Je suis une femme, je suis blanche, je suis bourgeoise et il y a tout un tas de situations que je ne vis pas au quotidien. Donc j’essaie de me le rappeler et d’être humble. De me décentrer. Peut-être que je n’y arrive pas toujours. C’est un chemin. C’est ce que raconte le dernier plan de Magma. Katia a compris quelque chose. Elle n’est plus au centre du cadre. Elle laisse la place.

Vous partagez la scène des Idoles avec Paul Kircher, dont c’est la première fois au théâtre, et dans Magma, vous jouez le mentor de Théo Christine. Dans les cas, vous les regardez avec beaucoup de tendresse. Quel rapport vous avez avec ces nouveaux visages du cinéma français ?
C’est marrant, hier, Rebecca Zlotowski m’a fait la même remarque. Il paraît que, quand à la fin de la pièce, je tombe dans les bras de Paul, j’avais l’air très heureuse ! J’aime cette nouvelle génération. Paul, Théo mais aussi Benjamin Voisin, Marie Colomb, qui était ma fille dans As Bestas. Je les trouve plus libres que moi à leur âge. Je regardais Paul pendant les répétitions et j’ai été soufflée par sa poésie. On sent qu’il ne fabrique rien. Il a en lui tellement de douceur et de violence.
Et c’est peut-être ce qui les relie toutes et tous. Ils n’ont pas peur d’être plein de choses à la fois. On sent que c’est une génération qui a décidé que les cases, les codes, c’était le monde d’avant. Ils ont une humilité qu’on n’avait pas, je crois. Ils font ce métier pour les bonnes raisons. C’est de cinéma dont ils ont envie, de théâtre, de jouer. Pas du reste. Quand je vois la curiosité de Théo, sa capacité de travail, son envie, je me dis que rien ne pourra l’arrêter. En fait, ils cherchent le plaisir avant la lumière. Lorsqu’on a fait le premier filage de la pièce avec Paul, à la fin on s’est retrouvé côte à côté et j’ai vu son sourire… Il avait envie d’y retourner, déjà. C’est beau de travailler avec ces jeunes acteurs, ces jeunes actrices. Je suis contente d’être témoin de ça.

« J’aurais tellement aimé pouvoir retravailler avec Laurent Cantet. Et puis je le trouvais si beau. »
Et les cinéastes ? Quels rapports vous avez avec eux ?
Les gens avec qui je travaille me sédimentent. Ils me construisent. Je ne saurais pas l’expliquer autrement. Quand je vous dis ça, je pense tout de suite à Laurent Cantet [disparu le 25 avril 2024, ndlr]. Aussi parce que je sais la tristesse de ne plus jamais pouvoir travailler avec lui. Sur le tournage de L’Atelier, il m’a passionné. Je le regardais faire et j’avais l’impression de voir le cinéma en train de naître sous mes yeux. C’était assez magique. Il était constamment guidé par le sens. On devait tous se mettre au service du film. C’était comme une troupe.
C’était un mec d’une humilité dingue. Ce n’était pas une posture. Il aimait le cinéma par-dessus tout. Et tout ça avec une douceur infinie. Quand je pense à lui, je vois une colonne vertébrale. Un mec qui tient droit, debout. J’ai tourné avec lui juste après la mort de mon père. Et sa présence, calme et puissante, m’a beaucoup aidée, je crois, à vivre les choses simplement.
Vous voyez, plus je vous en parle et plus les regrets montent. J’aurais tellement aimé pouvoir retravailler avec lui. Et puis je le trouvais si beau. Quand il est mort, Libé m’a appelé pour que je parle de lui et spontanément, j’ai dit ça : « Il était si beau. » C’est étrange… Mais après, sa femme et sa fille m’ont dit que ça leur avait fait plaisir de lire ça. Donc, autant le redire.

Qu’est-ce que vous vous dites quand vous regardez tout le chemin que vous avez parcouru jusqu’ici ?
Je sais que dans la vie j’ai beaucoup de chance. Je ne dis pas ça en l’air. Je crois vraiment que la vie est de mon côté. Il s’est toujours passé des choses inattendues, des petits coups de pouce du destin qui font que j’ai toujours eu le sentiment d’avancer. Dominique Farrugia qui nous repère avec les Robins des Bois dans un théâtre à Fontainebleau, qui nous emmène sur Canal ; Christine Carrière qui me propose Darling [2007, ndlr] alors que je joue et que j’écris des sketchs débiles en faux hollandais ; Marcial Di Fonzo Bo qui me propose ensuite de jouer Copi, un portrait au théâtre, puis Luc Bondy, une pièce de Botho Strauss… Tout s’enchaîne. C’est de la chance, je ne vois pas d’autre explication. Les réalisateurs et réalisatrices que j’ai rencontrés m’ont toujours fait avancer.
Vous voulez une preuve ? Hier, par exemple, je suis dans un magasin et je me rends compte que j’ai perdu mon portemonnaie dans la rue. Il y a tout dedans, mes papiers, mon permis, mes cartes…Une belle galère. Mais comme je crois en ma chance, je vais sur Instagram et là, dans mes DM, je trouve un mec qui m’écrit en italien parce qu’il a trouvé mon portefeuille dans la rue. Le mec est un touriste et il ne sait absolument pas qui je suis. Mais, surtout, la probabilité qu’il me retrouve et que surtout, je parle italien, est faible non ? Donc on a échangé, je l’ai appelé et j’ai retrouvé mon portemonnaie.
Cela étant, tout est une question d’équilibre. Parfois, j’ai beaucoup de chance, parfois j’ai des gros malheurs. La balance est bonne. Mais, dans mon métier, oui, j’ai beaucoup de chance. C’est peut-être pour ça que je travaille autant. Pour rendre à la chance tout ce que je reçois.
Magma de Cyprien Vial, Pyramide (1 h 25), sortie le 19 mars
Les Idoles de Christophe Honoré, au Théâtre de la porte Saint-Martin, jusqu’au 6 avril