À voir son petit gabarit, ses pommettes hautes et son sourire jovial, difficile de soupçonner que Marie Losier est une figure de la scène underground new-yorkaise – que l’on imagine peuplée d’artistes plutôt punk et sombres. Elle en a pourtant été au cœur pendant vingt-deux ans, à tel point que le prestigieux MOMA a consacré début novembre une rétrospective à ses films. « Quand j’ai débarqué là-bas avec mes deux valises, nous expliquait-elle joyeusement à Cannes avec un irrésistible accent américain, c’était déstabilisant. J’étais très jeune, je ne connaissais personne. J’ai fait mon chemin toute seule dans cette ville immense. » D’autant plus étonnant que l’on sent chez elle encore aujourd’hui, à 46 ans, un caractère doux et timide. Élevée près de Rambouillet, elle a découvert le cinéma au ciné-club de son village. « J’ai grandi avec la péloche mais sans en faire des études parce qu’on ne m’a pas amenée là, j’ai jamais pensé que c’était pour moi. »
À New York, où elle a migré à la vingtaine pour faire une thèse en littérature américaine dont elle n’a « jamais écrit une ligne », et en parallèle des Beaux-Arts où elle peint et expérimente la vidéo, elle se tisse un cocon rassurant au fil de ses rencontres avec des artistes illuminés. D’abord avec le dramaturge d’avant-garde Richard Foreman (« La nuit, je fabriquais secrètement les décors de ses pièces, genre des pénis de 10 mètres de long sur roulettes. »), qui lui présente la bande de l’Anthology Film Archives, la cinémathèque de films underground cofondée par Jonas Mekas. « Après mes études, une personne avec qui je suis restée quatre ans m’a offert une Bolex. C’est avec cette petite caméra aux bobines 16 mm de 3 minutes, sans son, que j’ai fait tous mes films depuis. » Au MaMa Experimental Theater Club, elle rencontre le projectionniste, qui est surtout cinéaste, Mike Kuchar. « On a tout de suite flashé, on a mangé de la glace ensemble. Il m’a appris à me servir de ma Bolex, et mon premier film a été un portrait de lui. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des tableaux vivants. »
FAMILLE DE QUEERS
Son portrait onirique de Mike Kuchar, Bird, Bath and Beyond, achevé en 2003, lance sa longue série de films courts décalés, pleins de surimpressions et d’accélérés, d’objets bizarres et de jouets pour enfants, peuplés de sirènes, de travestis et de catcheurs. Des patchworks d’une inventivité à la Méliès, à l’esprit dadaïste hyper ludique. Sa méthode ? Prendre du bon temps avec ses amis tout en les filmant (« J’exprime mon amitié à travers ma caméra. ») et monter les films seule pendant des mois. C’est comme ça qu’elle fabrique son premier long métrage, La Ballade de Genesis et Lady Jay, sorti en 2011, sur un couple d’artistes tentant de fusionner à coups d’opération de chirurgie esthétique pour se ressembler. « À New York, on vit pour survivre. J’avais jamais de fric alors je travaillais, j’achetais de la péloche, je filmais, je mettais la péloche au frigidaire. Et puis, de temps en temps : “Ah tiens, une bourse : Je vais développer ce bout de pellicule.” »
À Los Angeles pour présenter le film, elle découvre avec émerveillement le catch mexicain, la lucha libre, et « un petit bonhomme qui courait dans les loges avec des plumes partout ». Nouveau coup de foudre amical : elle se met à filmer le légendaire Cassandro, catcheur gay qui refuse la retraite malgré son corps en miettes. « C’était un cinéma fellinien pour moi ! Il est tellement exubérant, mais en même temps très profond. » Cassandro. The Exotico! devient son premier film produit (par les Français Tamara Films), ce qui devrait lui permettre de terminer plus confortablement ses innombrables projets en cours (des portraits de la chanteuse et performeuse Peaches, du musicien Felix Kubin et de l’artiste Tony Oursler). Revenue à Paris depuis trois ans, elle s’est entourée d’une nouvelle famille queer : Bertrand Mandico, Elina Löwensohn, Yann Gonzalez… On prédit, dans les années à venir, une autre série de flamboyants portraits concoctés par la fée Losier.
:« Cassandro. The Exotico! »
de Marie Losier
Urban (1 h 13)
Sortie le 5 décembre