Marie Colomb, actrice : « Sur « Culte »,  le travail sur la voix, le corps, la posture, a été très long »

Dans la série « Culte », origin story sur le Loft, elle composait une Loana Petrucciani complexe et touchante, bimbo au grand cœur abusée par le star-system. Pour ce rôle écorché, Marie Colomb vient de recevoir le prix Madame Figaro Rising Star Award du Festival Canneseries, qui récompense un talent prometteur. Sur la Croisette, on a rencontré l’actrice, intense et introspective.


Marie Colomb
Tapie Rose d’Ouverture during Canneseries 2025 on 24 Apr 2025 in Cannes, France. (Olivier VIGERIE / Canneseries)

Dans Culte, tu jouais une Loana Petrucciani pleine de blessures. Dans Laëtitia de Jean-Xavier de Lestrade, tu étais Laëtitia Perrais, une adolescente assassinée par Tony Meilhon en 2011. Qu’est-ce qui t’intéresse, dans ces rôles de femmes violentées par la vie, mais toujours résilientes, lumineuses ?

Marie Colomb : Pour ces rôles, j’ai été castée, on ne m’a pas choisie spontanément. Ça m’est tombé dessus. Mais oui, inconsciemment, je crois que j’essaye d’aller vers la complexité, la richesse. Ce sont aussi deux personnages, Loana et Laëtitia, qui ont existé. Et ça, c’est très particulier, singulier, parce que ça dépasse ton égo d’acteur. Tout à coup, tu dois essayer de faire bien, au plus juste. Il y a une responsabilité. Pour toi, c’est du jeu, de la fiction, mais pour ces femmes qui existent et se battent encore, ou ne sont plus là, il s’agit de leur vie, ou des souvenirs de leur entourage.

Comment as-tu abordé ces rôles, en gardant en tête cette éthique très forte du jeu, cette fidélité à la mémoire des gens et au réel ?

Par le travail, beaucoup. Mais il y a aussi quelque chose d’intuitif qui te dépasse. On ne pense plus à juste « bien jouer ». On a une empathie pour une personne qui a réellement été là, a eu une existence concrète. Bizarrement, si le travail est là en amont, c’est presque plus simple de jouer une personne réelle. Parce qu’émotionnellement, on sort de son petit soi.

Laëtitia de Jean-Xavier de Lestrade
Laëtitia de Jean-Xavier de Lestrade

Adolescente, tu étais fan de Kristen Stewart et Twilight. Qu’est-ce qui t’a interpellée chez cette actrice ?

Si on pouvait expliquer la fascination qu’on a pour certains visages… Je ne sais pas, elle a un truc assez pudique et sauvage à la fois, naturel. Ses mimiques, tu aimes ou tu n’aimes pas. Moi, elle me bouleverse. Jeune, elle avait cette petite chose qu’on n’attend pas de la jeune première, elle dégageait une particularité – alors que Twilight, le film qui a lancé sa carrière, était un film avec des codes assez restreints.

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Quelles autres actrices t’ont inspirée ?

Gena Rowlands, son jeu vient des tripes. Julia Roberts, pour sa force incroyable.

marie colomb as bestas
As Bestas de Rodrigo Sorogoyen

Tu as aussi donné la réplique à Marina Foïs dans As Bestas de Rodrigo Sorogoyen (2023). Comment ça s’est passé ?

Marina a fait preuve d’une grande bienveillance avec moi. J’étais hyper stressée, elle m’a proposé de répéter. On tournait dans les montagnes, c’est une ambiance particulière, tu passes ton temps avec les autres, tu es reclus. En plus, Rodrigo Sorogoyen est une chouette personne, un homme sympa, en plus d’être un grand réalisateur.

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Avec quelle cinéphilie t’es-tu construite ?

J’ai beaucoup été élevée à la télévision. Il y avait des DVD chez moi, mais je regardais les mêmes en boucle. C’est surtout quand je suis arrivée à Paris, à dix ans, que j’ai commencé à fréquenter des petits cinémas d’auteur, j’ai rattrapé toute l’éducation classique qui me manquait. C’est étrange, j’ai une cinéphilie instable, par période. Souvent quand je tourne, j’ai du mal à aller au cinéma, à voir des films. Je vois les acteurs, je les trouve incroyables, et ça m’inhibe. Je me dis : « Comment ils font ? »

En parlant de culture de la télévision, tu as souvent raconté que tu avais très tôt vu Loana à la télé, dans Le Loft. Quel souvenir gardes-tu d’elle ?

En fait, ce n’est pas un souvenir. Une copine d’enfance m’a raconté qu’on jouait au Loft dans la cour de l’école, au CP, et que je jouais tout le temps Loana. Je n’en ai aucun souvenir. Mais Loana, c’est une personne qui m’a toujours suivie. Elle a toujours été dans le paysage de ma vie. La première fois qu’on m’a parlé du projet, j’avais consulté cinq minutes avant son Instagram, alors que je ne la suis même pas. Trop bizarre.  

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Culte © Prime Video

Pour incarner Loana, tu t’es métamorphosée, en apprenant sa diction, en mettant des prothèses. Pourtant, on n’a jamais le sentiment que tu la singes, que tu es grimée, que tu l’imites pour la railler. Comment as-tu trouvé cette justesse ?

C’était très important. Le travail sur la voix, le corps, la posture, a été très long. Je donne un exemple tout bête. Tu peux essayer de marcher comme elle, mais tu peux aussi te demander : « Pourquoi Loana marche comme ça ? » La raison, c’est parce qu’elle est grande, qu’elle a un corps voluptueux. Ce corps, elle le cachait. A partir du moment où j’ai intégré cet arrière-plan psychologique, je peux jouer le personnage qui n’est pas à l’aise avec son corps. Naturellement, je ne vais pas me fondre en elle, mais il va se passer quelque chose dans le corps.

J’ai essayé de comprendre son intériorité, avec le livre Elle m’appelait… Miette [une autobiographie écrite par Loana en 2011, à l’âge de 23 ans, et dans laquelle elle écrivait cette phrase restée dans les esprits : « J’ai tout vécu, je peux mourir », ndlr]. Il y a des passages captivants, avec des extraits de son journal intime tenu depuis ses onze ans, elle y parle de sa timidité maladive… J’ai essayé de comprendre l’humain qu’elle était. Les mois qui ont précédé le tournage, j’ai beaucoup travaillé. Mais quand la caméra a démarré, après le « action », je me concentre intensément sur ce que j’ai à vivre. Je fais confiance à mon corps, qui se souvient de ce que j’ai pris d’elle en moi. Même si le plus important, c’est la situation, le moment, ce que Loana vit à cet instant précis de la séquence. Et si on ne ressent rien, c’est là qu’on singe.

Tu as deux sœurs et un frère, et tu as dit vouloir réaliser un projet autour de la sororité. C’est vrai ?

Si un jour je dois réaliser, ce n’est pas encore le cas, ce sera sur ce sujet. A l’école, quand il fallait faire des petits travaux, je revenais tout le temps à ce sujet. Mes sœurs sont super importantes pour moi. Tes sœurs et frères, ce sont les seules personnes qui ont vécu la même chose que toi. Ce sont les témoins de tout ce que tu as vécu dans l’enfance. Il y a un lien indéfectible. Avoir des sœurs, c’est le plus beau cadeau que la vie m’ait fait. J’adore les femmes, j’adore les filles, je suis très « bande de filles ».

Où tu te vois, dans un avenir proche ?  Quels sont tes prochains projets ?

J’ai tourné dans Génération Alpha, une série sur des militants écolos qui vont aller très loin dans leur combat militant, et Eldorado de Louis Farge, le réalisateur de Culte. C’est inspiré d’une histoire vraie sur les avions renifleurs. Deux mecs ont raconté qu’ils avaient inventé une machine pour capter le pétrole dans le sol, et ont extorqué des millions d’euros. Je joue une jeune géologue, une femme scientifique dans les années 1970, dans un monde d’hommes.

Si tu devais recommander trois séries coup de cœur ?

Fleabag, pour ce personnage féminin incroyable, pour Phoebe Waller-Bridge, cette showrunneuse qui fait tout, qui écrit, qui joue, qui filme. The Office, la série que je regarde quand j’ai besoin de me remonter le moral. J’ai adoré Normal People, une bonne surprise. Au tout début, tu as l’impression d’une espèce de teen-movie, puis tu rentres dans les profondeurs d’une jeunesse, dans le monde actuel, une génération. Je me suis reconnue dans beaucoup de choses que les deux personnages [joués par Paul Mescal et Daisy Edgar Jones, ndlr] vivent, ressentent.

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