1 – UN STORYBOARD ULTRA DETAILLÉ, UN SYMBOLISME TRÈS FORT
Dans sa fable à la mise en scène bluffante, la réalisatrice raconte comment la machine hollywoodienne broie le corps des femmes. Chaque cadre, chaque plan est pensé bien en amont du tournage. « Je travaille de manière très détaillée avec une vision très forte du départ, dès l’écriture du scénario », résume Coralie Fargeat. La cinéaste dévoile dans le making-of ses storyboards, ultra précis. Plutôt que de tartiner son scénario de dialogues explicatifs, elle préfère avoir recours à des images fortes, très symboliques. Ce qui permet selon elle d’atteindre quelque chose d’universel.
2 –UNE MULTIPLICITÉ DE TECHNIQUES DE PRISES DE VUE
Sans craindre l’excentricité, le too much, Coralie Fargeat pousse tous les curseurs visuels, sonores. Et tente des approches techniques complètement différentes. Elle a notamment utilisé une helmet cam (un objectif fixé au casque ou à la tête, pour amener un point de vue subjectif), des caméras embarquées, des grues… Dans une recherche d’immersion totale et de déstabilisation constante du spectateur, la réalisatrice a aussi travaillé certains effets dans les prises de vue, comme dans une scène où elle se plonge dans l’iris de son héroïne grâce à un objectif hyper macro, puis dézoome progressivement, pour arriver à un plan très large. Tout est fait pour que les cuts soient imperceptibles, le but étant de faire croire à un plan-séquence.
Ces techniques brillantes ont été produites avec le chef opérateur Benjamin Kračun, derrière la photographie du film A Promising Young Woman d’Emerald Fennell, que Fargeat adore et qui a servi d’inspiration à The Substance. « Ce que j’ai tout de suite adoré avec Ben c’est à quel point il avait compris le scénario et à quel point il voulait réaliser ce que j’avais à l’esprit, sans en changer. La meilleure façon de travailler, parce qu’on parle le même langage. » Elle raconte peu avant la réaction de Kračun lorsqu’il a découvert le projet : « Je me souviens qu’il m’a dit : « Mon Dieu, c’est tellement fou ! » » On confirme.
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3 – UNE REALISATRICE QUI DONNE DE SON CORPS
Peur des seringues, Coralie Fargeat ? Sûrement pas. La réalisatrice s’est jetée corps et âme dans la confection de ce film hyper physique, charnel, bodybuildé. La preuve : elle a joué les cobayes en se piquant elle-même le bras lors de la scène où Demi Moore s’injecte la substance diabolique. Lors de la course-poursuite finale, alors que Sue commence à se décomposer en lambeaux dans l’ascenseur, c’est encore Coralie Fargeat qui endosse la helmet cam pour créer le point de vue subjectif. Ce qui donne lieu à un look 100% weirdos (robe-tutu bleue à paillette en bas, soit le costume de Sue, et casque à la Daft Punk en haut), et à une séquence de tournage folle, avec quatre personnes dans un mini ascenseur. Elle s’est aussi sali les mains en aspergeant, dans la scène où Monstro Elisasue terrorise le public d’un théâtre, du sang sur le public avec un tuyau d’incendie (21 500 litres de faux sang ont été utilisé pour le film, la saga Hostel mise K.O).
On la voit également plonger ses doigts dans les entrailles d’organes (en plastique bien-sûr) sans sourciller, porter des doublures mannequins, hurler pour montrer aux actrices comment expier leur colère, courir des marathons avec sa caméra à l’épaule et sa perche pour suivre les personnages. Son mantra ? « Let’s go again, let’s go again ». Plus intense qu’une séance de cardio training, on vous dit.
4 – UN LABORATOIRE QUASI ARTISANAL
« Dès que j’ai commencé à écrire le film, j’ai su que je voulais, que j’avais besoin que tous les effets spéciaux soient fabriqués pour de vrai. Parce que le film parle de chair et d’os (…) J’avais besoin de pouvoir tout construire moi-même, de mettre mes mains dans tout. J’aime mettre mes mains dans ce qui est sale, expérimenter. »
Pour l’aider à créer son film de toute pièce, à l’ancienne, sans numérique, Coralie Fargeat a trouvé un complice de taille : Pierre-Olivier Persin, dit POP FX (son insta, à ne pas mettre sous tous les yeux), maquilleur en effets spéciaux. Ensemble, ils font un travail d’orfèvre : chaque prothèse réalisée à la main a été millimétrée, taillée pour rentrer dans le cadre en fonction de l’échelle de plan.
Par exemple : pour le plan où Demi Moore est allongée de dos sur le carrelage de la salle de bain, l’équipe a construit un mannequin sans jambes, car celles-ci sont laissées hors-champ. Une paire de jambes économisée, c’est toujours ça de pris. Sur ce tournage 100% artisanal, avec une équipe avide d’expérimentation, on tâtonne, on teste. Dans cette même scène où le dos de Demi Moore s’ouvre, on découvre que l’équipe a créé une trappe sous un faux plancher, depuis laquelle les techniciens font « bouger » l’intérieur du mannequin et manipule l’excroissance qui donnera naissance à Sue. Plus qu’une question d’esthétique, ces accessoires palpables, grandeur nature, devaient aider les acteurs à comprendre et construire par étapes leur personnage, leur psychologie.
Coralie Fargeat a aussi créé « The Lab », semblable à « un laboratoire de professeur fou », sorte d’ultime monstre du film. Son but ? Servir à filmer en équipe réduite, à la fin du tournage, tous les inserts et gros plans sans acteurs, nécessitant uniquement des prothèses et des gadgets. La crevette, la mouche, l’olive dans le cocktail, la substance verte dans la seringue, les œufs jumeaux dans la poêle : tous ces éléments hyper dramaturgiques ont été tournés de façon isolée. Imaginez un cours de science naturelle façon Frankenstein. « Créer sa propre réalité, avec ses propres outils », telle est la devise de Coralie Fargeat.
UN TOURNAGE EN FRANCE
The Substance vous a fait voyager grâce à ses palmiers et le soleil de Los Angeles ? Vous vous êtes fait avoir. Coralie Fargeat a entièrement tourné le film en France, à Antibes (notamment sur un parking de Marineland, comme quoi l’exotisme c’est la porte à côté), Cannes, et dans les studios Eclair d’Epinay, en Seine-Saint-Denis.
Un choix crucial, qui lui assure de travailler librement avec une équipe française passionnée qu’elle a choisie – à l’exception de Benjamin Kračun, qui est Ecossais –, motivée pour aller au bout « du niveau de folie » requis par le film. La contrainte de ne pas être vraiment à Hollywood, de devoir récréer cet écrin fascinant à travers des symboles (les étoiles de la Hollywood Walk of Fame) a été un carburant artistique selon Coralie Fargeat, qui a dû mobiliser des symboles et des images inoubliables pour immerger le spectateur dans ce qui n’est en réalité que des décors en tocs.
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Regardez le making-of en intégralité ci-dessous :