The Visit est un found footage, genre qui consiste à filmer en caméra subjective pour donner au spectateur le sentiment que les images ont été tournées par les protagonistes. En l’occurrence, c’est la jeune Becca qui tient le plus souvent la caméra. Y a-t-il beaucoup de vous en elle ?
Becca, c’est en partie moi, c’est sûr. Quand j’avais 15 ans, je me baladais comme elle sans cesse avec ma caméra. J’essayais d’apprendre le métier, pour devenir un jour un grand réalisateur. Mes films les plus réussis, me semble-t-il, sont ceux dans lesquels j’intègre des éléments de ma propre vie. Comme dans Signes (2002), lorsque le personnage de Mel Gibson raconte successivement à sa fille et à son fils leur venue au monde. Ces deux histoires, ce sont celles des naissances de mes deux premiers enfants. Il me semble que c’est en insufflant, même fortuitement, cette forme de sincérité au sein de la fiction que l’on obtient quelque chose d’authentique.
Faire semblant de déléguer la mise en scène à une adolescente vous a-t-il fait l’effet d’une cure de jouvence ?
Disons seulement que j’aime raconter des histoires qui se demandent comment on raconte une histoire. Quand j’ai écrit Stuart Little, je me souviens avoir imaginé une scène dans laquelle la petite souris commentait le fait qu’elle vive dans un conte de fées. La Jeune Fille de l’eau (2006) est aussi un film conscient de sa propre nature fictionnelle. Bob Balaban y joue un critique de films qui s’écrie : « Je suis un personnage secondaire… Celui qui se fait toujours tuer ! »
La Jeune Fille de l’eau avait d’ailleurs comme particularité de feindre de s’écrire au fur et à mesure, les personnages semblant découvrir l’histoire en même temps que les spectateurs. Dans The Visit, les deux ados dirigent la mise en scène et modifient le cours de l’intrigue…
La Jeune Fille de l’eau est un film qui évolue en temps réel, du fait que les personnages comprennent petit à petit qu’ils font partie d’une histoire. The Visit se déploie aussi en pleine conscience de son état. On a d’un côté Becca, qui essaie de réaliser un documentaire sérieux sur ses grands-parents, et de l’autre son frère, qui veut l’obliger à faire de la télé-réalité. Les deux univers entrent en collision, ce qui fait de The Visit un film hybride.
Une même scène ponctue vos œuvres récentes, After Earth, la série Wayward Pines (2015), et maintenant The Visit : celle d’une famille réunie autour d’un gâteau d’anniversaire.
Le moment du gâteau d’anniversaire, c’est un rituel immanquable ! Les dîners en famille sont aussi très importants. C’est pourquoi on retrouve si souvent les deux dans mes films. Ma vie a toujours tourné autour de mes proches, que ce soit mes parents, quand je vivais encore avec eux, ou ma femme et mes filles, aujourd’hui. Il faut dire que je me suis marié très jeune. Si j’étais célibataire, les histoires que je raconterais seraient sans doute bien différentes. Ça pourrait, par exemple, être moi et ma copine du moment passant une journée horrible jusqu’à ce que… les extraterrestres de Signes débarquent ! (Rires.)
Becca et Tyler, les deux enfants de The Visit, sont des personnages complexes. Comment les avez-vous imaginés ?
Ils sont inspirés des enfants d’une amie qui ont été abandonnés par leur père. Les problèmes que ce manque a engendrés chez eux en grandissant, on les retrouve chez Becca et Tyler.
Sans dévoiler s’il y en a un ou non dans The Visit, quel est votre regard aujourd’hui sur ces fameux twists auxquels votre cinéma a souvent été résumé ?
Oui, il ne faut rien dire ! Le mieux, c’est de parler de « choses inattendues ». En réalité, le terme de « twist » ne me plaît pas trop, c’est devenu une sorte de gimmick. Je n’y pense pas à l’avance, l’histoire se dirige naturellement vers quelque chose d’inattendu, ou non.
Il y a, en revanche, un élément qui ne doit rien au hasard dans vos films. Ce sont les règles qui encadrent l’intrigue, souvent des règles écrites, comme dans Le Village (2004), dans Wayward Pines et à nouveau dans The Visit.
« Amusez-vous. » « Mangez ce que vous voulez. » « Ne sortez pas de votre chambre après 21h30. » Ces règles, dans The Visit, reposent sur une forme d’ironie que j’aime beaucoup.
Mais ces règles, que doivent respecter les personnages, vous aident-elles aussi à construire le film ?
Oui, les règles induisent d’emblée une liste de choses à faire ou à ne pas faire. Les personnages vont pouvoir suivre celles-ci ou bien les briser. C’est intéressant d’avancer ainsi.
Le principe du found footage impose par ailleurs des règles strictes de mise en scène…
Cela ne m’a pas vraiment posé de problème. Je passe beaucoup de temps à réfléchir à chaque plan, de toute façon, donc le fait qu’il s’agisse d’un found footage n’a pas changé grand-chose. À ce jour, je suis à la moitié du story-board d’un film que je tourne cet automne. Je passe mon temps à le parcourir, encore et encore. Ce genre d’habitude fait qu’il m’est très naturel de me poser la question de la position de la caméra, du mouvement de celle-ci ou de l’intention qui légitime ses déplacements.
Ce nouveau film, est-ce celui de vos retrouvailles avec Joaquin Phoenix, plus de dix ans après Le Village ?
Peut-être…
Vos fans attendent aussi Incassable 2…
Le problème, c’est que j’aime que mes films gardent une dimension intimiste. Le sujet d’Incassable 2 serait forcément trop imposant. Si cela devait se faire un jour, cela ne pourrait pas ressembler à une suite, comme celle d’une production Marvel. Il faudrait que le film soit quelque chose d’unique, qui puisse exister en tant que tel.
Il y a beaucoup d’humour dans The Visit, comme c’était le cas dans Signes ou dans La Jeune Fille de l’eau. Aimeriez-vous réaliser une vraie comédie ?
Il y avait bien Stuart Little, seulement je ne l’ai pas réalisé. Mais pourquoi pas, ce serait amusant. Il est très agréable de tourner une scène comique, car cela met souvent l’équipe et les comédiens dans une dynamique très positive.
S’agissant d’un found footage, il n’y a aucune musique originale sur la bande-son de The Visit, ce qui vous a contraint à vous passer des services de votre compositeur attitré, James Newton Howard. Ça n’a pas été trop dur ?
J’ai su que vous alliez me poser cette question juste avant que vous ne le fassiez. C’est très étrange… Mais, pour répondre à votre question, c’était aussi très étrange de travailler sans James Newton Howard, c’est vrai ! Le fait de faire un film sans bande originale, c’est une expérience singulière, mais l’exercice m’attirait. Il n’y a aucune musique dans Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, par exemple. Dans L’Exorciste, tout juste quarante-cinq secondes. J’aime l’idée de se passer de musique, car cela impose au spectateur d’être encore plus impliqué.
Pensez-vous que cette année, à Noël, à cause de vous, moins de petits-enfants rendront visite à leurs grands-parents ?
Si l’on pouvait briser ne serait-ce qu’une famille, tout cela aura valu le coup ! (Rires.)
de M. Night Shyamalan (1h34)
avec Olivia DeJonge, Ed Oxenbould…