Maniant l’art du contrepied dès ses premiers instants, L’Homme fidèle s’ouvre sur une scène de rupture. Marianne (Laetitia Casta) se sépare d’Abel (Louis Garrel) pour rejoindre Paul, le père de son fils, Joseph. Quelques années plus tard, à la mort de Paul, Abel tente de reconquérir Marianne. Mais les retrouvailles s’annoncent d’autant plus délicates qu’Ève (Lily-Rose Depp), la jeune sœur de Paul, a décidé de déclarer sa flamme à Abel… Sur un argument a priori rebattu, le fougueux Louis Garrel et son complice chevronné Jean-Claude Carrière (scénariste notamment de Luis Buñuel, Jean-Paul Rappeneau ou des deux derniers longs métrages de… Philippe Garrel, le père de Louis) ont tricoté un récit virtuose qui déjoue constamment les attentes du spectateur. En moins de soixante-quinze minutes d’une parfaite limpidité, L’Homme fidèle slalome avec allégresse entre les genres cinématographiques, du drame intimiste au vaudeville. Le film lorgne même du côté du polar, prenant parfois l’allure d’un Cluedo sentimental dans lequel le colonel Moutarde aurait été remplacé par un certain docteur Pivoine. Traversant plusieurs époques, il multiplie aussi les points de vue, puisque l’on dénombre, selon les séquences, pas moins de trois voix off. Si l’on se plaît à suivre les différents fils de l’intrigue, on s’amuse aussi à déceler les traces des réalisateurs dont Louis Garrel pourrait être le ciné-fils : au-delà des maîtres de la Nouvelle Vague, on pense, au détour d’un plan, à des metteurs en scène qui l’ont dirigé – ici un élan romanesque qui rappelle Arnaud Desplechin, là un complot entre amants qui évoque Jacques Doillon. Mû par un réjouissant appétit de fiction, Louis Garrel réalisateur ressemble au fond au petit Joseph, formidable personnage de gamin manipulateur (joué par Joseph Engel) qui échafaude des hypothèses sans que l’on ne sache s’il s’agit d’un jeu d’enfant ou d’un enjeu bien plus sérieux. Devant la caméra, il confirme qu’il est un de nos grands acteurs burlesques (le film est émaillé de gags purement visuels), tandis que Casta et Depp, débarrassées de tout glamour, incarnent avec conviction des femmes amoureuses, à la fois dangereuses et vulnérables.
: de Louis Garrel
Ad Vitam (1 h 15)
Sortie le 26 décembre