Filmscalpel a compilé tous les sons de ce chef-d’oeuvre de 1975, qui forment une chambre d’écho triste à la solitude de son personnage.
Du cinéma nomade de Chantal Akerman, il nous reste surtout, imprimées sur la rétine, des images de lieux scellant la mémoire. C’est l’Europe centrale après la chute du mur de Berlin dans D’Est (1995), son propre exil à New-York dans News from Home (1977) ou son voyage à Tel-Aviv dans Là-Bas (2006). Mais le cinéma de la réalisatrice belge est aussi une affaire de textures sonores, qui se glissent entre les images pour traduire les états d’âme silencieux de ses personnages tourmentés. Alors tendons l’oreille: Filmscalpel nous propose dans un essai-vidéo passionnant de décortiquer les sons de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles.
Dans ce huis clos tourné quasiment entièrement à l’intérieur d’une grande maison vide, Chantal Akerman transforme les sons en partition mélancolique sur la solitude de son personnage, une jeune veuve qui élève seule son fils et se prostitue chez elle. C’est le bruit d’une porte qui claque comme un adieu déchirant mais discret, des clés qui tournent dans les serrures sans ouvrir sur rien, la musique triste du robinet qui coule, l’orchestre lancinant produit par les cliquetis de la vaisselle. Jeanne Dielman est la gardienne fantôme de ce royaume plein d’échos où résonne son incapacité à appartenir au monde : hors de la société, des regards, elle devient comme absente. Un dispositif de mise en scène épuré destiné à recueillir la violence insoutenable du quotidien, la peur de la mort et l’angoisse de l’avenir, dont se souviendra notamment Gus Van Sant.
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Image: Capture d’écran