C’est l’histoire d’une jeune femme carriériste qui retourne dans sa ville natale pour Noël et trouve l’amour… Cette histoire vous semble familière ? Normal, c’est celle de la plupart des films de fin d’année. S’ils ont un jour été l’apanage du cinéma, grâce à des classiques comme Meet Me in Saint. Louis, It’s a Wonderful Life et plus tard, Maman j’ai raté l’avion ou The Holiday, rares sont les films de Noël qui trouvent aujourd’hui le chemin des salles obscures.
Loin des studios hollywoodiens, l’essor de chaînes télévisées telles que Hallmark ou Disney (et, plus récemment, celui des plateformes de streaming) a transformé leur mode de fabrication.
Désormais produits à la chaîne pour pouvoir inonder rapidement nos (petits) écrans, les films de Noël sont depuis longtemps devenus une industrie à part entière, dont la machine ne semble jamais ralentir. 109 films de Noël étaient ainsi attendus en 2024, et le nombre de productions Hallmark a quadruplé depuis 2009.1
Tournés en quelques semaines sur des plateaux cheaps avec des stars de seconde zone, ce sont de véritables poules aux œufs d’or, dont l’objectif est clair : rapporter bien plus qu’ils ne coûtent. Loin derrière la question de la rentabilité, la qualité du scénario, elle, passe à la trappe… et ça se sent.
Car en plus d’être redondants, les films de Noël sont aussi souvent très conservateurs. Rien d’étonnant, lorsque l’on se souvient par exemple que Hallmark, la première productrice de téléfilms de Noël aux Etats-Unis, était jusqu’en 2001 un programme ouvertement chrétien intitulé « La chaîne de la foi et des valeurs ». Une idéologie religieuse qui infuse tout l’univers du film de Noël, et se retrouve encore dans la plupart des productions d’aujourd’hui.
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Esprit de clocher, épanouissement de la femme dans le couple plutôt que dans le travail, exaltation de la famille hétéropatriarcale… Sous couvert de joie de vivre, ces films sont en réalité le paravent d’idées assez rétrogrades, voire carrément problématiques. Maman j’ai raté l’avion, dans lequel un enfant blond comme les blés et ultra-privilégié interdit l’accès de sa luxueuse maison à un cambrioleur incarné par Joe Pesci, a ainsi été comparé à une métaphore anti-immigration italienne, tandis que la romance entre Keira Knightley et Andrew Lincoln dans Love Actually est aujourd’hui reconnue comme une forme de harcèlement inquiétant.
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Dépoussiérer Noël
Pourtant, les chiffres sont clairs : malgré leurs défauts, les films de Noël rencontrent encore un succès fou. En 2022, Noël tombe à pic, une production Netflix avec Lindsay Lohan, réalisait l’un des meilleurs démarrages de la plateforme cette année-là, et la chaîne de télévision Hallmark comptabilise chaque année plus de 80 millions de spectateurs pendant les fêtes. 2
Ce succès peut en partie s’expliquer par les efforts récents qu’ont fait les films de Noël pour proposer plus de diversité à l’écran. Les plateformes investissent désormais dans des productions avec des acteurs racisé.e.s, comme l’illustrait The Holiday Calendar avec Kat Graham en 2018, et des histoires d’amour queer sont enfin mises en scène ; en 2020, Happiest Season, réalisé et écrit par Clea DuVall, une actrice ouvertement lesbienne, racontait l’histoire d’un couple de femmes, tandis que Hallmark dévoilait la même année The Christmas House, son premier film avec un couple gay.
Niveau contenu, les films de Noël tentent également de se mettre à la page. Dans son téléfilm Love Hard, Netflix proposait ainsi une réécriture progressiste de la chanson de Noël Baby It’s Cold Outside, aujourd’hui dénoncée pour son apologie du viol, et la transformait en ode au consentement.
Le succès phénoménal de ces nouvelles productions atteste de la réceptivité des spectateurs et spectatrices pour des films de Noël plus inclusifs, et rappelle que, malgré leur nullité, ces productions détiennent encore un certain pouvoir : celui d’apporter du réconfort.
Leurs happy endings, lorsqu’ils sont offerts à des communautés habituellement violentées au cinéma, comme les personnes noires3 ou queer4, peuvent ainsi avoir un véritable effet thérapeutique. « Pourquoi les personnes queer ne pourraient-elles pas s’amuser aussi ?» écrivait la journaliste Mary Beth McAndrews. «La représentation, ce n’est pas juste les difficultés et les peines de coeurs [des] personnes queer (…) ; c’est aussi leur bonheur et leurs disputes de familles triviales, qui n’ont pas de conséquences tragiques. »
Tandis que de nombreuses études sur nos habitudes télévisées révèlent aujourd’hui que la prédictibilité des contenus est devenue un coping mechanism (ou mécanisme de défense, en français) important pour affronter une société de plus en plus anxiogène5, les films de Noël, avec leurs scénarios répétitifs, leurs vedettes familières et leurs dénouements attendus, pourraient donc bien être un remède au stress et à la violence quotidienne. Alors, cette année, pas de honte lorsque vous cliquerez sur le dernier téléfilm festif de votre plateforme préféré : c’est pour votre bien.
- https://www.forbes.com/sites/tonifitzgerald/2021/12/24/the-economics-of-the-hugely-popular-hallmark-christmas-movies/?sh=1d83a3c03f34 ↩︎
https://www.forbes.com/sites/tonifitzgerald/2021/12/24/the-economics-of-the-hugely-popular-hallmark-christmas-movies/?sh=1d83a3c03f34 ↩︎- The Black Guy Dies First, Robin R. Means Coleman & Mark H. Harris, 2023 ↩︎
- https://www.slate.fr/story/132485/arretons-enterrer-les-gays
↩︎ - https://www.news24.com/life/wellness/body/condition-centres/depression/anxiety-disorders/the-psychology-behind-why-you-like-to-rewatch-your-favourite-movie-or-series-during-the-pandemic-20200814-2
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