Cofondatrice en 2004 des rencontres européennes du moyen métrage de Brive, un format à mi-chemin entre le court et le long métrage très prisé des jeunes cinéastes, Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne) est aux premières loges pour commenter la créativité du nouveau cinéma français. Alors qu’elle vient d’achever le tournage de son troisième film avec Tahar Rahim et Finnegan Oldfield, la réalisatrice évoque le durcissement du système de production : « Dans les années 1990, pendant l’âge d’or de Canal+, il y avait une forme d’automaticité : quand on avait fait un court métrage remarqué, on était quasiment sûr d’enchaîner sur un long, et l’avance sur recettes était presque tout le temps couplée avec le financement des chaînes de télé. Aujourd’hui, les financements sont beaucoup plus éclatés, ce qui rend le montage financier plus difficile. Mais commencer dans une crise, ça force à être débrouillard et créatif. »
TOUS LES MOYENS SONT BONS
Le financement du cinéma français passe par un système bien huilé – 42 % des fonds proviennent des producteurs, 32 % des chaînes de télévision, 8 % des subventions du CNC, et le reste, des distributeurs, des SOFICA (Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel) et d’aides régionales (chiffres de 2011, source CNC) –, quitte à avoir tendance à ronronner un peu. Premières sources de revenus pour les films en production, les chaînes de télé répondent à une logique d’audimat (elles participent à des films qu’elles pourront diffuser sur leurs antennes) qui les pousse à limiter les risques en privilégiant les projets à gros castings, aux dépens de propositions plus innovantes. Pour contourner ce système parfois frileux, certains cinéastes n’hésitent pas à se jeter dans le bain du long métrage avec des productions fauchées, à l’instar de Justine Triet, qui n’a pas attendu l’avance sur recette du CNC pour lancer le tournage de La Bataille de Solférino le jour du second tour de l’élection présidentielle de 2012, comme le nécessitait son scénario. Le producteur du film, Emmanuel Chaumet, est passé maître dans l’art de faire des premiers films à petit budget depuis qu’il a créé sa boîte, Ecce Films, en 2003. Pour que La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko puisse voir le jour en 2013, il a dû se lancer dans une production assez acrobatique en sortant de l’argent de sa poche et en échelonnant le tournage en deux temps, à un an d’intervalle. « Miraculeusement, avec les aides qu’on a reçues a posteriori et les entrées générées par le film, on était à l’équilibre. » Une prise de risques qui peut se révéler doublement payante si le coup d’essai rencontre le succès. Après La Bataille de Solférino, Justine Triet a ainsi pu s’offrir une belle distribution (Virginie Efira, Vincent Lacoste) et décrocher un très beau budget (4 millions d’euros, dont 25 % alloués par Canal+) pour tourner son deuxième long métrage, Victoria, pendant l’été 2015. Certains jeunes réalisateurs court-circuitent carrément les schémas de production classiques en se passant de producteur, avec en chef de file Djinn Carrénard qui aurait réalisé Donoma en 2011 pour « 150 euros ». Mythe ou pas, le coup de pub est réel, et le film fait sensation, donnant au passage un bon coup de pied dans le système de production à la papa. Moins radicaux, des modèles de financement alternatifs se développent. Grâce à sa campagne de financement participatif, Julien Seri a pu rassembler plus de 50 000 euros pour produire Night Fare, en salles le 13 janvier. Quant au collectif d’humoristes Suricate, il a mis en ligne en accès gratuit le 24 novembre son long métrage Les Dissociés, réalisé avec un budget réduit de 150 000 euros et financé aux trois quarts par le placement de produits. Le film, inégal mais inventif (effets spéciaux bricolés, séquence en animation…), a généré plus d’1,7 millions de vues sur YouTube en une semaine.
CINÉMA POUR TOUS
En parallèle de l’éclatement des moyens et des voies de production, le développement des nouvelles technologies contribue à générer un très riche vivier de talents et de propositions. Selon Emmanuel Chaumet, c’est ce nouveau rapport à l’image, instinctif et immédiat, qui rassemble avant tout la nouvelle génération de cinéastes : « On a parlé d’une “nouvelle Nouvelle Vague”, il y a deux ans, quand Justine Triet, Yann Gonzalez et les autres ont, par un concours de circonstances, sorti leur premier long en même temps. Mais il n’y a pas, contrairement à la Nouvelle Vague, de points communs entre leurs films, si ce n’est la démarche technique : aujourd’hui, on peut faire des effets spéciaux dans une cave et tourner un film avec une petite caméra numérique. » Biberonnés à l’image sous toutes ses formes (films, jeux vidéos, clips, séries, télé-réalité…), les cinéastes de la génération Y ont su couper, pour une partie, le cordon formel avec leurs pères de la Nouvelle Vague pour puiser leur inspiration où bon leur semble. En septembre, Clément Cogitore, qui se revendique d’une cinéphilie assez radicale, nous confiait avoir tenté de « se détacher de l’expérimental en recourant à des codes à l’américaine, notamment de série télé » pour le scénario de son premier long métrage Ni le ciel ni la terre. Pour le jeune prodige Jonathan Vinel, auréolé à 26 ans seulement de l’Ours d’or du meilleur court métrage à la Berlinale en 2014 pour Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, réalisé avec Caroline Poggi, les références sont des plus éparses, d’Apichatpong Weerasethakul à la saga Twilight, en passant par les clips de l’artiste québécois Jon Rafman ou les jeux vidéo. À l’aide d’images de synthèse, le cinéaste a pensé son court métrage Notre amour est assez puissant comme un jeu vidéo first-person shooter : « J’ai cherché à réenchanter les codes de ce type de jeu très violent, en ajoutant un hors-champ romantique. J’aime quand les éléments s’entrechoquent. » Une habile confusion des genres que l’on retrouvera dans le long métrage très attendu qu’il développe, une « sorte de péplum avec une reine qui recueille un groupe d’enfants tueurs », et qui fait le sel et la richesse de son cinéma, et plus généralement du nouveau cinéma français, comme le souligne Katell Quillévéré : « L’intérêt de la nouvelle génération de cinéastes, c’est qu’elle n’est pas clanique sur le plan esthétique ou idéologique, il n’y a pas de chapelle de cinéma, les cinéphilies sont très variées, les moyens d’expressions et les sujets aussi. La tendance est à la diversité, et c’est une très bonne nouvelle. »