Le numérique, ennemi du cinéma ?

OUI Alors que la très grande majorité des films est aujourd’hui tournée et projetée en numérique, une poignée de réalisateurs continue de défendre les vertus de la pellicule argentique. C’est le cas de Steven Spielberg, de Christopher Nolan, mais aussi de J. J. Abrams, qui a filmé Le Réveil de la Force en pellicule 35 mm, ou encore


OUI

Alors que la très grande majorité des films est aujourd’hui tournée et projetée en numérique, une poignée de réalisateurs continue de défendre les vertus de la pellicule argentique. C’est le cas de Steven Spielberg, de Christopher Nolan, mais aussi de J. J. Abrams, qui a filmé Le Réveil de la Force en pellicule 35 mm, ou encore de Quentin Tarantino, qui a contraint des salles américaines à se rééquiper en projecteurs 70 mm pour exploiter Les Huit Salopards. Chez les pro-pellicule, on argue que cette méthode impose plus de rigueur, à la fois d’un point de vue technique (la pellicule est plus délicate à manipuler ; elle nécessite plus de lumière) et économique (chaque nouveau plan bouffe de la pellicule et a, par conséquent, un coût loin d’être négligeable). Mais l’argument le plus entendu est que la pellicule est une composante essentielle du septième art. Tarantino déclare ainsi au site Indiewire que « le numérique, c’est la mort du cinéma ». Quant à Nolan, lorsque Sam Mendes lui demande, dans les colonnes du magazine anglais Empire : « Argentique ou digital ? », il rétorque, cinglant : « Beurre ou margarine ? Notre art n’a-t-il pas pour nom filmmaking ? » Une conviction qu’il serait tentant de mettre au crédit de la cinéphilie de ces auteurs. Et pourtant, une mise en perspective de l’évolution du septième art fait pencher la balance en faveur des pro-numérique.

NON

Enfant de la révolution industrielle, le cinéma a grandi en faisant dialoguer évolutions technologiques et aspirations artistiques. Au cours des cent vingt dernières années, les réalisateurs n’ont cessé d’imposer de nouvelles conventions : le son dans les années 1920, la couleur durant la décennie suivante, et plus récemment, le relief. Le numérique, avec sa souplesse d’utilisation et son faible coût, a déjà gagné cette bataille du point de vue économique et est en passe de vaincre sur le plan artistique : David Fincher, Michael Mann, Ang Lee ou Steven Soderbergh sont depuis longtemps convertis aux vertus de ce format, notamment parce qu’il permet de tourner avec une très faible lumière. Sur les sept derniers Oscars de la meilleure photographie, un seul récompense un film capté par photochimie. Mais même si les cinéastes adeptes de la pellicule n’enrayeront pas la marche du progrès, leur combat rappelle que chaque avancée ne devrait jamais effacer le précédent standard en vigueur. En cela, leur attitude tient surtout du travail de mémoire et démontre qu’en étant constamment en mouvement, le cinéma démultiplie d’autant ses moyens d’expression. Aujourd’hui, tourner en pellicule est devenu, comme le noir et blanc ou le recours au muet, une posture d’auteur. Encourager le progrès sans oublier le legs des œuvres passées contribue ainsi à la richesse et à la vivacité du cinéma.