Dans le cadre de notre semaine spéciale Sophie Letourneur (dont le dernier film, Énorme, sort mercredi en salles), on revoit son premier long-métrage, l’histoire d’une joyeuse coloc affranchie des tabous.
La Vie au ranch est une histoire de filles – mais pas n’importe quelles filles. Perchées dans leur appartement, devenu le repaire d’une bande d’étudiantes parisiennes, Pam, Lola, Manon et Chloé fument clope sur clope, piquent les verres de Gin Tonic en soirée, urinent entre deux voitures à la sortie d’un club. Impertinentes, railleuses, elles forment une bande chez laquelle passent, tels des figurants, des garçons pour la plupart interchangeables.
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Sophie Letourneur filme leur amitié comme un joyeux capharnaüm, où la jeunesse tue l’ennui à coups de conversations téléphoniques futiles, de débats alcoolisés. Ici, on cherche un William Faulkner dans les décombres des étagères, on émet la possibilité de l’existence de poils pubiens bicolores. On parle aussi, l’air de rien, sans citer Bourdieu, de capital culturel, lorsqu’un personnage fait remarquer avec lucidité que chacun d’entre eux est passé par un lycée réputé. On raille le snobisme sans malveillance au détour d’une conversation sur Hong Sang-Soo…
Cette énergie presque épuisante pour le spectateur, la réalisatrice la saisit grâce à un dispositif formel paradoxalement très rigide : une suite de plans-séquences souvent fixes et saturés de détails, ou de travellings fluides, d’où surgissent des dialogues piquants et des entrées/sorties en coup de vent. Mais il ne faut pas se laisser tromper par tout ce désordre parfaitement organisé. Sous la comédie bavarde, l’excès jubilatoire de paroles et de situations loufoques, Sophie Letourneur désacralise nombre de tabous et stéréotypes autour de la féminité.
Ses actrices se meuvent débraillées, crient sans retenue, pleurent, font de leurs émotions le terreau d’un partage collectif détaché de tout diktat du glamour, de toute injonction esthétique – on retiendra notamment cette séquence hilarante où les héroïnes miment avec grotesque un accouchement. Juste avant que la dernière partie du film, nettement plus mélancolique, amorce la désagrégation du groupe, comme pour rendre à l’adolescence sa dimension d’utopie éphémère.
Le film est disponible sur France TV.