Aussi envoûtant qu’hermétique, ce grand film de Marguerite Duras est à revoir ce soir sur Arte, dans le cadre d’une programmation spéciale en hommage à l’immense Michael Lonsdale, disparu le 21 septembre dernier.
Dans ce drame que Marguerite Duras qualifiait « d’histoire d’amour immobilisée dans la culmunance de la passion » Delphine Seyrig prête ses traits gracieux à Anne-Marie Stretter, épouse d’un ambassadeur de France dans l’Inde britannique des années 1930, maîtresse de Michael Richardson (Claude Mann), courtisée un soir de bal par un vice-consul disgracié (Michael Lonsdale). Qui était cette femme gracile, aujourd’hui enterrée au cimetière anglais? Langoureux, mélancolique, India Song tisse, à partir de ce mystère initial, une réflexion bouleversante sur l’identité, le temps qui traverse les êtres et le souvenir que l’on choisit d’en garder – difficile de résumer, sans en éroder la beauté hermétique, l’histoire de ce film-fleuve.
Pour l’apprécier, il faut sans doute s’y oublier un peu, comme dans un rêve dont les tenants nous échapperaient. Marguerite Duras, avec la modernité qu’on lui connaît, y refuse la logique de l’efficacité narrative, étire les séquences pour faire naître une temporalité nouvelle, où secondes et minutes se confondent, met à mal les représentations réalistes, leur préférant des échappées oniriques à la beauté purement formelles.
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Construit comme un choeur antique – différentes voix-off commentent l’action, dans une prose mélancolique et une désynchronisation entre son et image -, India Song est surtout traversé par l’aura spectrale de son actrice. Lèvres closes, vague-à-l’âme au fond des yeux, corps impérieux et fébrile : baignée par la photographie cuivrée de Bruno Nuytten et la musique obsédante de Carlos d’Alessio, Delphine Seyrig incarne le personnage moderne et durassien par excellence. Celui qui échappe à la littéralité du dialogue, à la transparence du mot, qui n’existe que par fragments de sons, par bribes de souvenirs obscurs reconstruits au prisme d’un montage elliptique.
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Une identité trouble matérialisée dans cette scène inoubliable où Delphine Seyrig, à la fois charnelle et complètement absente à elle-même, se regarde dans la glace avant de danser avec Michael Lonsdale. Une scène d’autant plus déchirante lorsqu’on la revoit au prisme de cette déclaration d’amour que l’acteur avait faite à sa partenaire : « La personne que j’ai aimée, n’était pas libre… Elle était en couple avec Sami Frey. Je n’ai jamais tenté quoique ce soit par respect. J’en ai beaucoup souffert et je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre… C’était elle ou rien. »
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