Plus ludique qu’un cours magistral, plus interactif qu’un dico, moins scolaire qu’une encyclopédie, l’émission incontournable d’Arte, Blow Up, nous aide aujourd’hui (en 12 minutes chrono, qui dit mieux) à potasser la filmo d’un grand réalisateur italien, figure de proue du néoréalisme : Luchino Visconti, disparu le 17 mars 1976.
Quelques point à maîtriser. Visconti a débuté sa carrière en France, et pas avec n’importe qui. Assistant de Jean Renoir à la fin des années 1930, il aide à la réalisation et aux costumes des Bas-fonds et de Partie de campagne – les deux réalisateurs partagent une filiation évidente, un goût pour le réalisme âpre, les jeux sur la mise au point et les profondeurs de champ qui font circuler les êtres dans le plan. Visconti n’est pas du genre à perdre son temps.
Son premier film, Les Amants diaboliques (1943), est un coup de maître. Il y superpose une étude clinique, presque documentaire, de la ville de Ferrare, et la passion entre un mécano vagabond et la femme d’un patron de station-essence. Ou comment disséquer la violence des rapports de classe dans une société fasciste par le prisme d’un adultère destructeur. Une sensibilité politique que l’on retrouve cinq ans plus tard dans La Terre tremble, film commandé par le Parti communiste italien qui saisit le quotidien de petits pêcheurs siciliens -mais aussi dans Rocco et ses frères en 1960, dans lequel se joue l’affrontement entre le vieux monde traditionnel en train de s’éteindre et la modernité urbaine.
Bellissima (1951) et Senso (1954) sont les films de l’éloignement progressif avec les thématiques du néoréalisme. Le premier est une chronique méta sur les coulisses cruelles de la Cinecittà, le second une fresque violente sur la décadence du Risorgimento toute en couleurs, que beaucoup prirent comme une trahison à la doxa néoréaliste. Jusqu’à la rencontre inoubliable entre Alain Delon et Claudia Cardinale dans Le Guépard (1963) – au milieu des ruines d’un palais en décomposition tandis que dehors, l’unité italienne se fait douloureusement – et aux Damnés (1969), étude cinglante de l’avènement du nazisme dans l’Allemagne industrielle.
Rendons à César ce qui est à César, en rappelant que c’est à Visconti que James Gray a emprunté la danse à la fois très bizarre et profondément touchante de Joaquin Phoenix en night-club dans Two Lovers, que c’est le prologue en bateau de Mort à Venise qui a inspiré Michael Cimino pour son épilogue de La Porte du paradis. Sans oublier Martin Scorsese, qui se souviendra d’une certaine rencontre à l’opéra filmée à travers un miroir dans Le Temps de l’innocence…Enfin, quoi de mieux pour synthétiser l’art mélancolique, le travail sur le temps qui s’écoule de Visconti, que le dernier plan de son film-testament L’Innocent, qui fige son héroïne de dos quittant une allée vide (à revoir dans notre supercut).