LA SEXTAPE · Que nous dit la scène d’ouverture du « Mépris » de Jean-Luc Godard ?

La scène d’ouverture du « Mépris » de Jean-Luc Godard – projeté à Cannes Classics en ce deuxième jour de festival – est l’une des séquences les plus célèbres du cinéma, un pur concentré d’érotisme. Mais l’a-t-on réellement comprise ?


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Après l’annonce de sa mort mi-septembre, difficile d’échapper à la question : c’est quoi, ton film préféré de Godard ? Tous formats et durées confondus, il en a tourné plus de cent trente – pas facile. Mais, alors que je m’interrogeais, la musique déchirante de Georges Delerue s’est enclenchée dans ma tête. Le choix du cœur va au Mépris. Tout y est culte ; sa beauté plastique, l’alchimie de Michel Piccoli et de Brigitte Bardot, la cinégénie de la villa Malaparte, et puis cette scène d’ouverture qui semble contenir le film tout entier, le monde même ; Bardot nue, allongée sur le ventre, et cette réplique qui flotte dans l’éternité : « Tu les trouves jolies, mes fesses ? »

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Cette scène d’amour total ne devait pas être filmée, le film était fini, monté. Godard avait tenu bon face à l’insistance des producteurs qui réclamaient la nudité de Bardot. Ils en voulaient pour leur argent. Godard répondra à leur vulgarité mercantile par un geste de cinéma inouï, avec la plus belle scène d’amour de l’histoire du cinéma, dont la perfection, encore aujourd’hui, sidère au point de nous aveugler. Bardot est nue sur un lit, oui, d’une beauté insolente, aussi, près d’un Piccoli en tee-shirt. Elle égrène ses questions ; et mes seins, tu les aimes ? Et mon visage ? Godard joue avec des filtres de couleurs tandis que la caméra longe les lignes spectaculaires de l’icône. On oublie souvent un détail : tandis que Piccoli tente de l’enlacer, elle se dérobe à lui.

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Pourquoi fait-elle ça ? La scène se termine par la réplique (elle aussi culte) de Piccoli : « Oui, je t’aime totalement, tendrement, tragiquement. » Le piège s’est refermé sur lui et sur nous. En découpant ainsi son corps et en lui demandant s’il en « aime » chaque partie, elle lui fait avouer son désir morcelé, non son amour, car désirer toutes les parties du corps d’une femme ne forme pas, par addition, un amour total – il l’exclut. On retrouve, comme chez Luis Buñuel, cette incapacité à voir la femme entièrement, comme un objet a, pour reprendre les termes de Jacques Lacan auquel Godard fait un clin d’œil. La méprise, la confusion des langues entre l’homme et la femme, est le cœur secret de cette scène à l’érotisme brûlant. S’il l’aimait totalement, il aurait dû simplement répondre « je t’aime ». Il ne le fera pas. La méprise se muera en mépris de la femme pour cet homme qui ne sait pas la voir. L’histoire donnera raison à Bardot, et Godard, encore une fois, aura eu plusieurs tramways d’avance.