
Le titre du nouveau long de Luca Guadagnino, Queer (en salles le 26 février), contient à lui seul l’essence du film et l’expérience qu’il propose. Il ne s’agit pas ici de l’acception contemporaine du mot, mais de son sens originel : l’étrangeté, la marge. Pour William S. Burroughs, que le cinéaste adapte ici, être queer n’est pas seulement une orientation sexuelle, mais un état de non-appartenance, un statut d’exilé, d’étranger, une dissociation du monde comme de soi-même.
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Luca Guadagnino filme l’errance d’un homme mûr, Lee, dans un Mexico de carton-pâte reconstitué à Cinecittà. De bar de nuit en chambre d’hôtel crasseuse, Lee soliloque et drague, avec une ardeur détachée, des garçons qu’il croise, jusqu’à ce que son regard se pose sur Allerton, un jeune marin indolent et farouche. En lui, Lee entrevoit un point d’ancrage, l’illusion d’un amour absolu, tout en pressentant, avec une lucidité cruelle, qu’il n’est qu’un mirage de plus. L’étrangeté des décors est accentuée par l’incongruité d’avoir choisi Daniel Craig pour incarner Lee. Que fait James Bond dans l’univers sensuel de Guadagnino ? Il semble à lui seul une anomalie, une bouffée délirante. Queer est une odyssée hallucinée du désir et de l’exil, un film triste, brûlant et malade. C’est l’expérience d’une solitude radicale, de la tentative désespérée de se connecter à l’autre et de conjurer l’anéantissement par le sexe.
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Le film atteint son point d’incandescence dans une scène de transe sous ayahuasca. Sous l’effet de la plante hallucinogène, Lee et Allerton s’abandonnent enfin totalement l’un à l’autre, corps et âmes entremêlés, synchronisés. Dans cette vision furtive et sublime, les mains glissent sous la peau, l’extase y est inextricable du vertige de la chute. C’est paradoxalement dans cette scène, absente du livre, que Guadagnino perce le secret du texte de Burroughs. Et c’est peut-être l’une des plus belles scènes de sexe queer, de sexe tout court, du cinéma. La chair n’est plus désirée pour elle-même, mais comme un moyen de disparition, une dissolution consentie dans le grand tout. Queer est un film plein de secrets, de vertiges et de maléfices, où, comme dans une photographie surexposée d’Antoine d’Agata, tout brûle avant de s’éteindre.
Queer de Luca Guadagnino, Pan (2 h 16), sortie le 26 février