Ce documentaire au dispositif original suit les pas d’un jeune militant d’extrême droite dont les secrets personnels deviennent progressivement le cœur d’une passionnante fresque politico-intimiste.
Qu’est-ce qui motive intimement un jeune homme à adhérer à un parti politique d’extrême droite ? Forts de cette interrogation, Mathias Théry et Étienne Chaillou ont suivi Bastien, militant amiénois du Front national, pendant les longs mois de campagne électorale de l’année 2017. Loin de la classique immersion caméra à l’épaule, les réalisateurs du remarqué La Sociologue et l’Ourson (2016) optent pour une distanciation romanesque : une voix off lue par un narrateur vient poser sur les images de réunions publiques et de déplacements géographiques un commentaire distancié digne d’un roman du XIXe siècle. Le dispositif fait accéder à un recul et une intériorité que n’autorisent ni le temps médiatique ni l’urgence électorale, et le documentaire dévoile comment les rêves de reconnaissance sociale du jeune homme sont pleinement sollicités puis contrariés par les stratégies et les calculs du parti nationaliste. Le film choisit surtout, en cours de route, de placer en son centre le contrat narratif liant Bastien aux cinéastes, qui lui font ainsi découvrir un an après le tournage le texte écrit pour la voix off afin que l’intéressé puisse le valider et l’amender. Cette transparence absolue, en plus d’exhiber les coulisses de fabrication de l’œuvre, ajoute une dimension inattendue au portrait du jeune militant. Car la caméra a beau croiser ici Florian Philippot ou Marine Le Pen et filmer la bataille communicationnelle du second tour de l’élection présidentielle, ce sont soudain les secrets enfouis et les démons passés de Bastien qui frappent l’attention. En mettant patiemment en lumière les racines d’un malaise individuel, La Cravate verbalise les fractures d’une société, identifie les confusions politiques, déjoue les pièges de la simplification et met à mal l’illusion vendue par le parti lepéniste. Invitation magistrale à sortir des zones d’ombre, à desserrer l’étreinte et à se défaire des asphyxiants nœuds de cravate, ce documentaire offre une respiration plus que bienvenue.
Damien Leblanc
La Cravate de Mathias Théry et Étienne Chaillou, Nour Films (1h37), sortie le 5 février
Image: Copyright Nour Films