Jonás Trueba : « En Espagne, les jeunes cinéastes de ma génération ont des choses à dire »

Surprise de l’été 2019, ce conte solaire qui rend hommage au cinéma d’Éric Rohmer est diffusé dès ce mois d’août 2022 sur Arte. On reposte pour l’occasion notre entretien avec son réalisateur, l’étonnant Jonás Trueba.


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Cet exaltant chassé-croisé de personnages autour d’une trentenaire solitaire, Eva (incarnée par Itsaso Arana, coscénariste et autre révélation du film), au hasard des rues d’un Madrid déserté par ses habitants au milieu de l’été, arrive à point nommé pour réchauffer les cœurs et réaffirmer la force des rencontres. C’est aussi la découverte d’un cinéaste espagnol prometteur, dont les quatre précédents longs métrages n’étaient pourtant jamais sortis en France. Dialogue avec le réalisateur Jonás Trueba.

Eva en août est diffusé jusqu’au 15 octobre sur Arte. Pour voir le film, cliquez ici.

Itsaso Arana a écrit le film avec vous. Est-ce le fruit d’un désir commun ?

Le film est né du double désir de faire un portrait de Madrid pendant les fêtes populaires, où le temps est comme suspendu, et de retravailler avec Itsaso, qui jouait dans mon précédent film. On a collaboré non seulement dès l’écriture du scénario mais aussi sur le tournage. C’est son personnage qui a dicté la mise en scène. J’avais déjà instauré ce rapport de confiance avec les acteurs de mes précédents films mais ils n’ont jamais été aussi impliqués qu’Itsaso dans le processus créatif.

Vous invoquez nettement Le Rayon vert (1986) pour lequel, comme vous, Éric Rohmer a impliqué son actrice, Marie Rivière, dans l’écriture. Quel lien entretenez-vous avec son cinéma ?

C’est sans doute mon film préféré d’ ! J’ai demandé à Itsaso de le voir plusieurs fois avant de tourner Eva en août. L’idée était de penser un dialogue entre nous et le film de Rohmer, d’imaginer un autre film construit en contradiction avec Le Rayon vert, qui raconte l’histoire d’une femme qui veut absolument quitter Paris pendant l’été. Eva, elle, décide de rester à Madrid et en fait un acte de foi. J’aime toujours dialoguer avec les films que j’aime. C’est quelque chose que les peintres, les écrivains ou les musiciens font de façon naturelle mais, au cinéma, j’ai l’impression que c’est plus difficile à assumer. 

Que symbolise le beau titre original du film, La virgen de agosto (La vierge d’août) ?

Pour les Espagnols, le titre a un double sens puisque c’est une expression populaire qui correspond à une fête nationale importante et qui fait écho aux fêtes madrilènes de la Vierge de la Paloma. En même temps, Eva n’est non pas vierge au sens littéral mais parce qu’elle fait les choses pour la première fois, qu’elle a une vision virginale de sa ville. J’ai beaucoup discuté quant à la possibilité d’une traduction littérale en français, mais ce titre n’aurait pas eu la même connotation ici. Tout compte fait, j’aime aussi qu’on mette en avant le prénom d’Eva dans le titre français puisqu’il symbolise une forme de virginité, Eva étant la première femme.

Le film a quelque chose de fantasmé, voire de fantastique sous certains aspects. Qu’est-ce qui vous pousse vers le romanesque ?

J’aime partir du réel pour m’élever légèrement au-dessus, tout comme j’aime jouer avec la vraisemblance, le hasard… Lorsqu’on retrouve Eva au lendemain de sa rencontre nocturne sur le pont, on peut se demander si elle n’a pas rêvé jusqu’à ce qu’elle recroise ce garçon à une fête. J’aime mêler une certaine mystique à la quotidienneté. Même la question religieuse est inhérente au cinéma puisqu’en tant que spectateur, je dois avoir foi dans ce que je vois à l’écran. C’est la grande question du cinéma contemporain ; aujourd’hui, le spectateur devient de plus en plus cynique, or cynisme et cinéma ne font pas bon ménage. C’est essentiel qu’on puisse croire en la fiction. 

Eva est un personnage très secret. On est dans un rapport de pure intimité avec elle mais, pour autant, il n’y a aucun voyeurisme. Comment avez-vous trouvé cette juste distance ?

La distance entre Eva et la caméra est la clé du film. C’est le point sur lequel j’ai le plus discuté avec mon chef opérateur, d’autant que la difficulté, pour moi, était de filmer un personnage féminin avec le plus de respect possible. C’est la première fois que je mettais une femme à ce point au centre des choses et Itsaso, en me donnant sa confiance, m’a beaucoup aidé. La première moitié du film est plus distanciée mais, dès lors qu’on entend la voix off d’Eva, j’ai l’impression que le personnage s’approprie totalement le film.

Vos quatre précédents films ont eu du succès lors de festivals en France mais Eva en août est le premier à y être distribué en salles. Comment l’expliquez-vous ?

C’est dû au hasard, à la chance que Bénédicte Thomas, distributrice d’Arizona Distribution, ait parié sur nous. C’est très difficile pour un petit film espagnol d’être distribué en France, à moins d’avoir été coproduit par la France en amont, ce qui n’est pas le cas de mes films. Ça me rend triste car j’ai l’impression que la diversité du cinéma espagnol est invisible ici. Les gens se limitent souvent à Pedro Almodóvar alors qu’il y a de jeunes cinéastes de ma génération qui ont aussi des choses à dire. On aime un certain type de cinéma espagnol et latino-américain très exotique, haut en couleur, et les films qui ne le sont pas assez sont généralement mis de côté. J’espère qu’Eva en août ouvrira la voie à d’autres !