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Jehnny Beth, vie sauvage
- Timé Zoppé
- 2018-11-02
Cheveux courts blond platine plaqués en arrière, intense regard noir de félin et multiples bagues argentées aux doigts : pas de doute, on a devant nous une chanteuse de rock. Si le charisme de Jehnny Beth en impose, la Française se révèle douce et attentive lorsqu’elle se met à parler. Même contraste quand on la découvre d’abord sur scène, en sueur et en transe, hurlant dans son micro sur les riffs de son groupe Savages et portée par une foule extatique, puis à l’écran en avatar d’Angot, cheveux noirs de jais, visage fermé, corps rigide et verbe acéré dans la dernière partie d’Un amour impossible.
Dans cette adaptation du roman de l’écrivaine, qui revient sur ses difficiles souvenirs de jeunesse, Jehnny Beth joue la colère contenue comme personne. La réalisatrice, Catherine Corsini, dit avoir trouvé chez elle la « sauvagerie domestiquée qui sied au personnage ». L’expression fait sourire l’intéressée, mais elle s’y retrouve. « Je crois qu’ils avaient casté pas mal d’actrices, mais que toutes essayaient de jouer Christine Angot. Moi, je n’avais rien lu d’elle avant qu’on me propose le rôle, mais j’adorais son côté droit et direct, qui dit ce qu’elle pense, sans filtre, en interview. J’ai moi aussi eu des déboires avec la presse à cause de ça, je m’y reconnaissais, je n’avais pas vraiment besoin d’aller puiser ailleurs. » Quand on l’interroge sur le féminisme de ses textes et de son groupe composé de filles, et qu’on le rapproche de celui de Christine Angot qui dénonce notamment dans ses livres les abus de pouvoir de son père sur les femmes, Jehnny Beth botte en touche. « Je ne suis pas engagée, j’ai d’ailleurs beaucoup de mal avec les artistes qui confondent art et politique. » Elle sent en revanche un écho avec sa propre histoire dans le rapport mère-fille d’Un amour impossible. « Je suis partie de chez mes parents assez tôt. Se construire sans sa famille et réussir à se réconcilier, je trouve que c’est un vrai sujet. »
À L’AVENTURE
Née à Poitiers en 1984, Camille Berthomier – de son vrai nom – est élevée par des parents professeurs passionnés de théâtre. Ado, elle intègre le conservatoire de la ville, monté par son père, et est repérée par le cinéaste Jean-Paul Civeyrac lors du concours d’entrée du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Soufflé, il lui écrit un rôle sur mesure : celui d’une femme inconsolable de la mort de son amant dans le beau et mystique À travers la forêt, sorti en 2005. « Ce n’était que des plans-séquences, mais c’était plus facile pour moi pour une première expérience. Ça ressemblait à ce que j’avais fait au théâtre. » L’expérience lui plaît, mais une autre aventure l’appelle : elle rencontre le musicien Nicolas Congé, qui est depuis son « partenaire musical et de vie ».
À 20 ans, elle migre à Londres avec lui. « J’ai suivi mon instinct. J’avais envie de maîtriser mon destin, et je savais qu’être actrice n’allait pas me convenir comme mode de vie, parce qu’on est à la merci du réalisateur, on doit plaire à quelqu’un. » Elle trouve son nom de scène, Jehnny, en miroir à celui de Nicolas, Johnny Hostile, et ils sortent deux albums sous le nom de John & Jehn. Toujours attirés par le défi, ils fondent leur label, Pop Noire, produisent le premier album de Lescop et celui du nouveau groupe de Jehnny, Savages. Deux disques à succès (PJ Harvey devient une fan, puis une amie) plus tard, elle prend encore un nouveau virage : il y a deux ans, elle s’installe à Paris, met Savages entre parenthèses et commence à écrire un album solo. « J’ai mis la scène en pause quand c’est devenu trop facile. Le cinéma, c’est compliqué. Il y a beaucoup d’attente, de monde, c’est plein d’artifices, de distractions, il faut être assez concentré. » C’est justement là, en terres inconnues voire en zones hostiles, que Jehnny Beth semble la plus à même de déployer son grand potentiel.
Un amour impossible
de Catherine Corsini
Le Pacte (2 h 15)
Sortie le 7 novembre