
Vous avez failli ne même pas entendre parler du projet de Gia Coppola. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Pamela Anderson : Disons que le scénario a mis un certain temps à arriver jusqu’à moi. Gia l’a envoyé à mon désormais ex-agent, qui l’a refusé en moins d’une heure sans même m’en parler… Comme ça a été rejeté si vite, Gia s’est doutée que je ne l’avais probablement pas lu. Elle a donc contacté Brandon [Lee, l’un des fils de Pamela Anderson, ndlr], qui avait produit mon documentaire [Pamela. Une histoire d’amour de Ryan White, sorti sur Netflix en 2023, ndlr]. Brandon l’a lu, a rencontré Gia, puis m’a apporté le scénario.
En le lisant, je me suis dit, au sujet de mon agent : « Comment a-t-il pu refuser ça ? » Du coup, j’ai changé d’agent. J’ai adoré le script. Je pouvais entendre la voix de Shelly, je voyais comment la jouer. À chaque page, je me disais : « C’est pour ça que j’ai eu la vie que j’ai eue. » Tout ce que j’ai vécu depuis mon enfance jusqu’à aujourd’hui, je pouvais l’injecter dans ce film. Je savais que ça allait être un tournant décisif.
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Est-ce que vous avez d’une manière ou d’une autre inspiré le rôle ?
Non, l’histoire a été écrite il y a douze ans. À l’époque, c’était une pièce de théâtre, qui ne s’est pas faite. Gia voulait absolument réaliser un film sur Las Vegas. Elle est tombée sur cette pièce et s’est demandé qui pourrait jouer l’héroïne. Elle a vu mon documentaire et s’est dit : « C’est elle, notre Shelly. » Elle n’aurait pas accepté que je refuse. Notre première conversation était d’ailleurs très drôle. On était en visio et je lui ai dit : « Tu sais, je peux vraiment le faire ! » Et elle m’a répondu : « Non, mais je sais que tu peux le faire, c’est pour ça que je te le propose. » Et moi : « Mais vraiment, je peux le faire ! » Et elle : « OK. Alors, allons-y. »
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Comment avez-vous composé le rôle ?
J’ai toujours été une grande fan de cinéma, même si on m’a surtout vue dans Alerte à Malibu. À l’époque, personne ne le savait, mais je lisais du Tennessee Williams, de l’Eugene O’Neill, des pièces de Sam Shepard. J’ai toujours été fascinée par le jeu d’acteur. J’ai pris quelques cours, puis j’ai lu Richard Boleslawski en boucle, Acting. The First Six Lessons [manuel de méthode de jeu publié en 1933, ndlr].
J’ai aussi travaillé avec une coach d’acting, Ivana Chubbuck, quand j’étais à Broadway. Je l’avais rencontrée plusieurs années auparavant, puis je me suis mariée et… j’ai été distraite. Quand je suis revenue vers elle, elle m’a dit : « Je suis tellement heureuse que tu te remettes au travail, parce que tu peux vraiment le faire. » Elle a été d’un grand soutien. Quand ce projet est arrivé, j’ai retravaillé avec elle.
On a d’abord réfléchi ensemble sur le script. J’y ai travaillé pendant environ trois mois. Puis la grève des acteurs [un mouvement de grande ampleur émanant de syndicats de scénaristes et d’acteurs hollywoodiens qui a gelé l’industrie en 2023, ndlr] a tout repoussé. J’ai continué à travailler, à réfléchir aux mouvements – Shelly est danseuse. J’ai regardé les films qu’elle regardait – elle adore le cinéma. Quand je suis arrivée à Las Vegas pour le tournage, j’aurais pu jouer le rôle d’une traite, comme une pièce de théâtre.

« Je me disais : ‘‘Ce sera peut-être le dernier film que je tournerai.’’ Alors j’ai tout donné. »
Comment avez-vous vécu le tournage ?
Gia parle avec douceur, mais elle est très déterminée. On a tourné en pellicule, pendant seulement dix-huit jours, c’était très rapide. C’est pour ça que je voulais tout connaître sur le bout des doigts. Je ne voulais pas me regarder dans un miroir ni porter de maquillage, hormis pour les scènes de préparation du spectacle. Tout le monde me disait : « Vraiment ? Pas de maquillage ? » Et j’ai répondu : « Non, pas de maquillage du tout. » Je me disais : « Ce sera peut-être le dernier film que je tournerai. » Alors j’ai tout donné.
Mes enfants sont grands, en bonne santé, heureux, indépendants. Ma seule relation, c’est avec mon travail. Il n’y a aucune distraction. Quand j’ai vu le film pour la première fois au TIFF [le festival du film de Toronto, qui se tient en septembre, ndlr], avec tout le casting, je me suis dit : « Ouah, j’en ai des frissons. » J’étais fière de moi. Je travaille bien plus sérieusement qu’avant. Peu importe si c’est une comédie ou un rôle dramatique, il n’y a pas de raccourcis : il faut travailler.
« Je voulais montrer l’humanité, la sororité, la camaraderie. »
Avez-vous vu Showgirls, le film de Paul Verhoeven (1996), qui raconte l’inverse, l’arrivée d’une danseuse en début de carrière à Las Vegas ? Était-ce une inspiration ?
Non, mais j’adore Paul Verhoeven. Je ne pense même pas que Gia l’ait vu. C’est bien Verhoeven qui a fait ce film avec Isabelle Huppert, Elle ?
Oui !
C’est celui-là que je veux voir ! J’adore Isabelle Huppert, c’est l’une de mes actrices préférées. Pour en revenir au film, j’ai rencontré les danseuses de la revue Jubilee ! [un spectacle mythique de Las Vegas montré de 1981 à 2016, ndlr] et je voulais vraiment leur rendre hommage. On a passé beaucoup de temps ensemble. Je les ai invitées chez moi, j’ai fait du thé, et elles m’ont raconté à quel point elles étaient fières de leur art et comment tout ça venait de France. À l’époque, elles étaient traitées comme des stars de cinéma. Évidemment, il y avait des tensions en coulisses, mais pas dans le sens mesquin ou superficiel comme on l’imagine souvent.
Je ne voulais pas tomber dans les clichés des rivalités féminines. Les relations entre femmes sont complexes, comme toutes les relations humaines. Je voulais montrer l’humanité, la sororité, la camaraderie. Montrer aussi les failles d’une personne imparfaite, qui a le cœur sur la main, qui voit le meilleur chez les autres, mais qui n’est pas non plus une victime et sait poser des limites. Et qui sache dire à un moment : « Je ne suis pas ta mère. J’ai une fille, tu sais. »
Il n’existe pas de manière parfaite d’être parent ni d’être artiste. Le défi d’être une mère qui travaille porte toujours cette part de doute : « Est-ce que j’aurais pu mieux faire ? » J’ai adoré cet aspect du film, explorer ces femmes qui portent le monde du spectacle, qui font briller Las Vegas, tout ce qu’on tient pour acquis quand on est là-bas.

Dans le film, vous formez un puissant duo d’amies avec Jamie Lee Curtis. Vous la connaissiez avant ce projet ?
Je connaissais son travail, bien sûr, c’est une légende ! Mais j’étais terrifiée à l’idée de la rencontrer. La première fois que je l’ai vue, c’était lors d’une lecture du script, et elle venait de faire son deuxième ou troisième spray tan [elle s’est appliqué de l’autobronzant pour le rôle, ndlr]. Elle changeait littéralement de couleur sous mes yeux. Elle commençait à prendre la teinte du mur derrière vous, une espèce de terracotta. Et ses lèvres étaient d’un blanc givré pendant qu’on jouait nos scènes ensemble. Soudain, elle me dit : « Je fais ce film pour toi. »
C’est une femme qui soutient les autres femmes. Elle n’avait pas vu mon documentaire, elle ne savait pas grand-chose de moi, mais elle comprenait ma position. Elle était déjà passée par là. Elle m’a dit qu’Everything Everywhere All at Once [de Daniel Scheinert et Daniel Kwan, qui a remporté sept Oscars en 2023, dont celui du meilleur film et du meilleur second rôle féminin pour Jamie Lee Curtis, ndlr] avait été son moment à elle, où elle avait enfin pu briller en tant qu’actrice. Et elle sentait que The Last Showgirl était mon moment à moi. Jamie, c’est une force de la nature. Elle est imprévisible, magnifique, sans peur. Elle a traversé énormément de choses dans sa vie. C’est un modèle.
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« Marilyn Monroe était un génie dans l’art de se mettre en scène. »
Il me semble que vous avez toujours été féministe et très consciente du fait que le glamour pouvait être à la fois une arme et un piège pour les femmes. Qu’est-ce qui vous a permis d’en prendre conscience ?
Les personnages que j’avais joués jusque-là, que ce soit dans Alerte à Malibu, Barb Wire [film de SF de David Hogan devenu culte, sorti en 1996, où elle campe une mercenaire sexy et badass, ndlr] ou V.I.P. [série d’espionnage diffusée de 1998 à 2002, dans laquelle elle jouait aussi avec son image, ndlr], étaient artificiels. Ils marquaient avant tout visuellement. Pour moi, c’était une forme de protection. Je trouve amusant qu’ils soient devenus des costumes de Halloween. Mais, aujourd’hui, je suis bien plus consciente de la vie intérieure d’un personnage, pas seulement de son apparence.
Et de la mienne aussi. Me débarrasser des couches superficielles et me souvenir de qui je suis, de mes pensées originelles… C’est peut-être un geste féministe. Me rappeler que je suis assez bien telle que je suis. Je dis toujours à mes fils, Brandon et Dylan : « On a tous notre propre ordinateur interne, il faut savoir comment le réparer, parce que chacun est différent. » Apprendre à s’apaiser, à exprimer ses pensées propres, c’est essentiel.
Je pense souvent aux acteurs du passé, à ce contre quoi ils devaient lutter, à la manière dont ils devaient se présenter au public. Marilyn Monroe était un génie dans l’art de se mettre en scène. Elle souffrait, mais elle était aussi incroyablement puissante. C’est pour ça que je dis toujours que la gentillesse est essentielle. On mène tous des combats invisibles. On a tous une responsabilité envers les autres. On devrait être un peu plus solidaires.

Vous avez déjà envisagé d’écrire ou de réaliser des films ?
J’écris tous les jours. Je me réveille à quatre heures du matin quand je suis chez moi. Mes enfants m’ont convaincue d’écrire un journal ouvert sur Substack [plateforme de publications en ligne pour auteurs, journalistes, créateurs de contenus, ndlr]. J’ai plein d’abonnés [128 000, ndlr], et c’est agréable de partager. Mais on peut trop facilement se disperser. Alors, pour l’instant, je vais me concentrer sur ma carrière d’actrice, même si j’ai déjà écrit des nouvelles. Il y en a une que j’aime particulièrement, Clementine, et je pense que ça pourrait peut-être devenir un film. On verra.
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