Matthew McConaughey, avant toute chose, c’est un nom imprononçable pour les non-anglophones. « Matiou Maconogué » ? Presque. Soyons honnête : longtemps, la question nous importa peu. L’acteur n’était pas exactement dans nos tablettes, et nous ne nous sommes pas rués dans les salles pour voir Le Règne du feu, Two for the Money, We Are Marshall ni Comment se faire larguer en 10 leçons. Au cours de la décennie passée, il aura essentiellement été pour nous l’homme des comédies romantiques niaiseuses et des polars douteux. Il y avait certes quelques perles, comme le teen movie Dazed and Confused de Richard Linklater, où il se fit remarquer en 1993 ; ou Contact de Robert Zemeckis, où il donnait la réplique à Jodie Foster en 1997 ; sans parler d’Amistad la même année, l’un des plus mauvais Spielberg, où il excellait néanmoins en avocat défenseur d’esclaves… Mais pour l’essentiel, le cas McCo’ nous semblait classé : à l’intercalaire « clampin ». Avions-nous tort ? Peut-être. Car en revoyant plusieurs de ses (plus ou moins) mauvais films, nous réalisions qu’il y avait toujours quelque chose à y sauver : le grand blond bouclé et bronzé, là, sur le devant de l’affiche, cet espèce d’Apollon au sourire trop bright pour être honnête et à l’accent trop texan pour être franc, ce type agaçant qui a toujours l’air d’en savoir plus que vous. Regardez-le bien et comparez-le à quelques étalons de sa génération, tous ces affamés à qui l’on a dû proposer les mêmes scénarios au même moment, les Patrick Dempsey, Dane Cook, Gerard Butler ou même Ben Affleck… Le constat s’impose : tous s’inclinent devant la superbe du king Matthew.
THE VOICE
Cette superbe, le Texan vous la fait ressentir instantanément quand vous lui serrez la main (qu’il a immense) : œil charmeur, voix de velours, costume gris clair impeccable, et puis ce phrasé, irrésistible, qui s’enroule dans chaque pli de sa bouche avant de venir vous chatouiller l’oreille. « Hi, I’m Matthew McConaughey », nous dit-il en souriant, comme si on l’ignorait… Plus qu’un acteur physique (même s’il peut parfois l’être), il est un grand vocaliste. À l’instar de son compatriote texan Owen Wilson, il bouge assez peu son corps, marque bien chaque mouvement pour lui donner plus de poids, mais module en revanche sa voix avec une infinie délicatesse. « J’aime bien ma voix, oui. Elle a un certain rythme, un certain ton, grâce auxquels les spectateurs m’identifient. La première chose que je cherche quand je travaille un personnage, c’est la façon dont les mots vont s’ordonner dans sa bouche, dont les syllabes vont sonner. Je cherche la musicalité – la musique a une grande importance pour moi. Ensuite, je cherche le mouvement. J’adore observer comment les femmes bougent, par exemple, ça en dit beaucoup. Je peux changer d’accent, je peux prendre du poids, en perdre, mais le son de la voix et la nature du mouvement, c’est l’essence. »
ÂME TEXANE
Si on le connaît si bien, ce flow, c’est aussi que McConaughey n’en a (presque) jamais changé. Un fait inhabituel aux États-Unis, où un acteur se doit d’avoir un accent néo-zélandais si le rôle l’exige. Or, le natif de Uvalde, Texas, semble s’être fixé une règle : ne tourner que dans le sud du pays, chez lui ou non loin. Cherchez dans sa filmographie, vous ne trouverez pratiquement aucun film tourné au nord du Mississippi. Pourquoi donc ? « Au début, c’était un heureux hasard, et puis c’est vrai que j’ai commencé à faire attention à cet élément géographique dans les scénarios. Que voulez-vous, je suis du Sud, ma sensibilité est sudiste. Le Mississippi m’inspire. La campagne, les marais. Le film Mud raconte pratiquement mon enfance, à jouer à Huckleberry Finn, à passer mes journées sur une île. En outre, je maîtrise plusieurs dialectes du Sud, ce que les réalisateurs apprécient (il se met à imiter l’accent de l’Arkansas, différent du sien – ndlr). Rien qu’au Texas, il y a quatre accents différents. Mes deux frères, si vous les écoutiez parler, vous ne comprendriez rien de ce qu’ils racontent, tant leur accent est fort. » Et c’est toujours là qu’il habite, avec sa femme et ses deux enfants, à Austin précisément, oasis libérale au milieu du Texas conservateur.
LE DÉCLIC AUTEURISTE
Longtemps, McConaughey nous importa peu, disions-nous. Et puis il y eut un déclic, incontestable, dans sa filmographie : soudain, il se mit à faire de bon films, et plus seulement à sauver, autant que faire se peut, les mauvais. Le tournant est facile à dater : mai 2011, La Défense Lincoln. Un film de Brad Furman qui ne payait pas de mine, thriller juridique adaptaté d’un roman de Michael Connelly et qu’il éclaboussait de toute sa classe. Il paraissait là tel qu’on l’avait toujours connu : ambigu, roublard, charmeur, et cependant, quelque chose avait imperceptiblement changé. Était-ce ces rides nouvelles ? Cette terrifiante démarche de reptile ? Cette absence totale de vergogne ? Difficile à dire dans un premier temps. Il aura fallu la confirmation (et la consécration) des mois qui suivirent pour y voir plus clair. Un virage spectaculaire, jugez plutôt : cette année, il a été ou sera à l’affiche d’un film du légendaire William Friedkin (Killer Joe), d’un des tout meilleurs Soderbergh(Magic Mike), d’un fascinant docufiction parodique de Richard Linklater (Bernie, hélas pas sorti en France) et de deux films sélectionnés à Cannes (Paperboy de Lee Daniels et surtout Mud de Jeff Nichols) ; pour couronner le tout, il est au casting du prochain Scorsese, The Wolf of Wall Street. D’un seul coup d’un seul, il est ainsi passé de la cage vidéoclub à la case prestige movies. Que s’est-il passé ? « Ma carrière était sur de bons rails, mais les scénarios que je recevais commençaient à se répéter, avoue-t-il. C’était toujours les mêmes histoires, avec les mêmes personnages, juste un nom différent sur la page de garde… Alors j’ai pris une année sabbatique en 2009, je me suis posé, j’ai réfléchi à ce que je voulais vraiment faire – j’avais gagné suffisamment d’argent pour me le permettre. Et je me suis dit que j’avais envie de jouer dans des films que j’irais voir en salle, de jouer des personnages plus ambigus, plus singuliers. Surtout, j’ai eu la chance de recevoir des propositions de la part de très bons réalisateurs, qui m’ont permis de prendre ce tournant. »
MAIS POURQUOI EST-IL (SOUDAIN) SI MÉCHANT ?
En quoi consiste ce McCo’ nouveau ? Tout d’abord, il se contente quasi exclusivement, alors qu’il est une star pas tout à fait bankable mais presque, de seconds rôles ou d’affiches à partager. Un sacrifice sans doute nécessaire à ce recentrage radical. C’est par exemple le cas dans Killer Joe, où son personnage de tueur à gages donne son titre au film mais n’en occupe pas, loin s’en faut, tout l’espace. Ceci dit, lorsqu’il apparaît, on ne voit plus que lui : le bad guy le plus flippant depuis Javier Bardem dans No Country for Old Men des frères Coen, l’homme qui changera à jamais votre point de vue sur les pilons de poulet (lire à ce sujet p.XXX). Ne plus craindre de jouer les méchants : le voilà, le principal trait distinctif du McCo’ 2.0. Avocat véreux dans La Défense Lincoln, reporter sadomaso dans Paperboy, fugitif au charme vénéneux dans Mud, procureur impitoyable dans Bernie, stripteaseur de peu de vertu dans Magic Mike et apparemment trader corrompu chez Scorsese : rien ne l’arrête… « J’ai joué quelques méchants récemment, oui, et j’y ai pris beaucoup de plaisir. On n’est pas enchaîné par la loi, par le gouvernement, par la religion, on n’a pas à respecter une quelconque morale. On est libre », se justifie-t-il. Il avoue néanmoins qu’il a dû se faire violence pour affirmer cet aspect de son jeu : « Quand Bill Friedkin m’a envoyé le scénario de Killer Joe, je l’ai lu et je l’ai détesté. Je trouvais ça insupportablement violent. J’en ai parlé avec lui, et il m’a expliqué qu’entre les lignes cette histoire était pleine d’humour. Et en effet, à la seconde lecture, j’ai saisi cet aspect, et j’ai accepté le rôle. Et je ne le regrette pas. » Nous non plus ne le regrettons pas. Et pour ceux qui se demandent encore comment se prononce son nom, c’est « Massiou Mac Cono’hey », en aspirant le h. Hey hey hey.