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– Le psy Jean-Victor Blanc parle culture pop et psychiatrie
- Emilio Meslet
- 2019-11-15
Une fois par mois au mk2 Beaubourg, Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur du livre Pop & Psy (éditions PLON), analyse des thèmes liés à la psychiatrie à l’aune de la pop culture et notamment du cinéma. Ses prochaines conférences seront consacrées à la dépression dans Melancholia et aux addictions avec l’exemple de Requiem for a dream.
En quoi la pop culture aide-t-elle à mieux comprendre ce qui se joue autour de notre santé mentale ?
Elle permet de décaler le regard avec quelque chose de moins anxiogène et de plus ludique. Les troubles psychiques sont très fréquents et de plus en plus présents dans les films, mais il y a beaucoup d’idées reçues sur la maladie mentale, sur son traitement et ses conséquences. D’où l’idée d’utiliser la pop culture comme support pour une meilleure compréhension.
Pourtant, dans Pop & Psy, vous fustigez les mauvaises représentations de ces pathologies qui amènent parfois à des malentendus.
La pop culture nous aide à mieux comprendre – mais il faut expliquer ces représentations. C’est ce qui manque au grand public qui peut parfois prendre les films ou séries comme argent comptant. Et quand les représentations sont négatives, c’est plus compliqué pour mes patients et pour moi en tant que médecin.
Pourquoi ?
Dès qu’il y a un documentaire qui génère des stéréotypes malvenus sur la maladie mentale, c’est extrêmement dur et violent pour les patients. C’est peu pris en compte dans la diffusion de ce genre de documentaires qui sont toujours sur le même créneau sensationnalistes et liés aux faits divers.
Il y a eu aussi des films comme Vol au dessus d’un nid de coucou dont vous dites qu’il a fait du mal à l’image de la psychiatrie.
Vol au dessus d’un nid de coucou était le fil conducteur de ma première conférence au mk2 Beaubourg en octobre. J’ai repris trois aspects du film en essayant de montrer à quel point ils n’étaient pas réalistes aujourd’hui, tout en rappelant son côté métaphorique sur l’oppression d’un homme par un système politique. A une époque, la psychiatrie a pu être dans un rôle de contention sociale. Heureusement qu’on a fait des progrès en 50 ans ! Et je ne peux pas dire que jamais aucun patient ne s’est retrouvé dans la position de Jack Nicholson. Mais ce qui est certain c’est que les soins sous contraintes représentent moins de 5% de l’ensemble des soins en psychiatrie. Or, c’est l’exemple le plus fréquent dont on nous parle. Il n’est pas rare que des patients citent Vol au dessus d’un nid de coucou en disant « je ne veux pas être hospitalisé pour finir comme dans le film avec Jack Nicholson ».
Pourquoi est-ce difficile de bien représenter les maladies mentales au cinéma ?
Le cinéma est un art essentiellement visuel. Du coup, par exemple, les hallucinations visuelles sont très fréquentes dans les films, alors qu’elles le sont peu dans la vie réelle. Il y a aussi des contraintes scénaristiques : on étiquette facilement quelqu’un comme fou pour justifier son comportement. C’est une paresse artistique. Et le troisième élément est le manque de connaissances. Comme le reste de la population, les réalisateurs sont empreints de clichés sur la maladie mentale.
Par exemple ?
Ce qui fait le plus de tort, c’est lorsque la schizophrénie est associée à la violence. On confond schizophrène et psychopathe ainsi que schizophrène et trouble de la personnalité multiple comme dans le fameux Split de M. Night Shyamalan. C’est une pathologie rarissime contrairement à la schizophrénie qui concerne 1 à 2% de la population. Et ça n’a rien à voir avec les 23 personnalités de Split. Mais c’est très cinégénique…
Melancholia sera le sujet de votre prochaine conférence. Lars Von Trier y évoque la dépression. Diriez-vous qu’il en fait une description juste ?
Oui plutôt. On voit bien que c’est dur pour le personnage de Kirsten Dunst de se réjouir, de participer aux festivités de son mariage et qu’elle est en décalage avec son entourage qui n’est pas aussi compréhensif qu’on pourrait l’espérer. Dans la deuxième partie, sa sœur essaye de l’être mais ça ne fonctionne pas car quand on est mélancolique, ce n’est pas une balade à cheval qui nous guérit. C’est assez réaliste. Et le réalisateur s’abstient de tout jugement moralisateur.
Le film n’est pourtant pas très optimiste et la dépression est assez esthétisée. La seule issue réconfortante pour Justine semble être la fin du monde. Ce n’est pas problématique ?
Comme Black Swan pour la schizophrénie, Melancholia peut avoir plusieurs lectures. La dépression est bien montrée. Mais la métaphore qui dit que seule une planète qui tombe du ciel peut nous permettre d’aller mieux, ce n’est pas ce que je pense en tant que médecin. Mais c’est une œuvre d’art ! Est-ce qu’un film faisant l’élégie de la psychiatrie serait forcément bon ? Je n’en suis pas sûr. J’aimerais juste qu’il y ait des représentations plus diverses et plus positives des troubles.
Peut-on noter une évolution dans la représentation de certains troubles psychiques ?
Les représentations récentes du trouble bipolaire sont beaucoup plus documentées et réalistes. Ça devient une des caractéristiques du personnage sans que ce soit son essence. Dans la comédie américaine Happiness Therapy de David O. Russell, il se trouve que le personnage de Bradley Cooper a un trouble bipolaire et que c’est l’objet de certaines scènes. Ce n’est pas le sujet principal… Ces images plus justes correspondent bien sûr au fait que les créateurs de films ou de séries sollicitent des spécialistes sur la question. Pour la série Mental sur France TV Slash, on m’avait demandé mon avis lors d’une étape où ils avaient déjà bien avancé sur le scénario. On sort des clichés habituels car les gens sont plus sensibles aux discriminations.
Y-a-t-il des pathologies pas ou peu représentées ?
De façon assez étonnante, la dépression en tant que fait médical. Surtout quand on sait qu’un adulte sur sept en fera une au cours de sa vie. On se contente souvent de la tristesse réactionnelle face à un événement malheureux dans l’histoire du personnage. Et ensuite, il y a quelque chose d’heureux qui va faire que la dépression va s’évanouir pour que ça se termine en happy end.
Pour vous, le cinéma et la pop culture doivent montrer le bon exemple et ne pas diffuser des stéréotypes sur les troubles psychiques ?
C’est un débat compliqué car on ne peut pas être dans la censure. Mais on ne peut pas s’affranchir d’une responsabilité. Faire un film raciste en 2019 ça a des conséquences. Un film négatif sur la santé mentale aussi.
CULTURE POP ET PSYCHIATRIE par le psychiatre Jean-Victor Blanc, prochaines séances le 16 novembre et le 14 décembre à 11h au mk2 Beaubourg
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