C’est la première fois que vous tournez avec Tilda Swinton. C’était comment ?
C’était merveilleux. J’ai adoré Tilda, c’est une vraie partenaire. C’est ce qui a rendu cette relation géniale. Je crois qu’on s’est toutes les deux investies dans le projet avec la volonté de collaborer, d’être ensemble et de construire cette relation, parce que c’est le cœur de l’histoire. Le film parle de l’amitié de nos deux personnages, de ce qu’elles sont capables de se donner mutuellement, de ce dont elles peuvent témoigner l’une pour l’autre, de comment elles peuvent s’aider dans cette épreuve. J’ai aimé la présence de Tilda, apprendre d’elle.
On a beaucoup en commun… On a le même âge, on a des enfants qui ont aussi le même âge, nos carrières sont assez similaires, elles ont suivi des chemins parallèles. Tilda dit tout le temps qu’on aurait pu être de vieilles amies, qu’on aurait pu se connaître dans notre vingtaine. Il s’est juste trouvé que nos chemins ne se sont pas croisés à ce moment-là. Mais maintenant, c’est le cas, et on avait une solide base pour construire notre amitié.
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Vous vous souvenez de votre première rencontre avec elle ?
Oui, mais j’en garde un souvenir différent du sien. Elle a l’impression qu’on s’est rencontrées ailleurs. Pour moi, ça a eu lieu au festival de Venise, quand je suis venue y présenter Loin du paradis [de Todd Haynes, 2002, ndlr]. J’étais venue avec ma fille, qui n’avait que 4 mois à l’époque. Mon fils était resté aux Etats-Unis avec ses grands-parents parce qu’il n’avait que 4 ans. Mais je voulais absolument aller au festival avec mon bébé parce qu’elle était encore si petite ! Je l’emmenais partout avec moi. Je me souviens que Tilda était venue dire bonjour à mon bébé, et que c’est comme ça qu’on s’était rencontrées. Mais bon, d’après elle, c’était à un autre endroit et un autre moment, alors qui sait ? En tout cas, c’était il y a longtemps !
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C’est la première fois que Pedro Almodóvar tourne à New York. Est-ce que son regard neuf vous a permis de redécouvrir la ville ?
Ca fait quarante ans que je vis à New York, donc on peut dire que j’ai l’habitude de cette ville. C’est justement l’une des choses qui m’ont semblé intéressantes avec le projet, que ce soit le New York de Pedro, sa façon de voir la ville et de la montrer dans son cinéma. C’est comme dans un rêve. Voire un conte de fées. Par exemple, il y a cette superbe scène à Jefferson Market Park dans laquelle Martha et Ingrid sont assises et parlent sur un banc, alors que c’est en fait un parc où on ne peut jamais aller, même quand on habite à New York. Il est toujours fermé. Donc c’est vraiment un fantasme, avec aussi toutes ces couleurs… Je trouve ça magnifique de voir comment une personne extérieure voit votre ville. Pedro fait la même chose avec Madrid. Ce n’est pas la ville que l’on voit quand on la visite, c’est la Madrid de Pedro. Il nous embarque dans son point de vue.
Qu’est-ce que La Chambre d’à côté vous a permis d’apprendre sur votre métier ?
Je ne cesserai jamais d’être fascinée par le métier d’actrice parce que ça nécessite parfois de se perdre un peu pour le faire correctement. On essaye de toujours se concentrer sur le sens pour être là, dans le rôle. Dans ce film en particulier, mon personnage écoute beaucoup. L’écoute est un état actif mais le risque est tout de même de rester un peu bloqué dans son corps. L’enjeu pour moi était donc de trouver comment rester présente. Comment réagir à ce qui se passe, à ce que dit le personnage de Tilda, ce dont elle a besoin ? Comment rester en vie de son corps sans parler ? Pour moi, c’était le plus grand défi.
À votre, avis, que voient en vous les cinéastes quand ils ou elles vous rencontrent pour la première fois ?
Je n’en ai aucune idée ! Je suis toujours avide de savoir pourquoi on est choisi. Pourquoi quelqu’un dit « je choisis cette personne, ce corps, ce physique, cette voix ». Quelqu’un comme Pedro est très précis quant à l’histoire qu’il veut raconter, comment la raconter, la façon dont il perçoit les choses. Les cinéastes ont parfois déjà quelque chose en tête à l’avance. Mais pour moi, ça reste un mystère.
Lors de notre entretien avec Todd Haynes, fin novembre au festival de Marrakech, il nous a confié à votre sujet que vous n’aimiez pas faire de répétitions. Votre secret, c’est la première prise ?
En fait, il y a différents types de répétitions. Celles que je n’aime pas faire, ce sont celles juste avant une prise, quand on morcelle le texte. Si je fais ça juste avant de tourner, ça peut me faire perdre mon énergie. Mais j’aime savoir où se trouve la caméra, avoir une idée du blocage [le positionnement des personnages dans le décor au préalable pour imaginer les cadres et les mouvements de caméra, ndlr], parfois j’aime faire un croquis des répétitions. Ça dépend. Mais en vérité, tellement de choses me sont communiquées à travers le script… C’est pour ça, j’imagine, que j’ai autant travaillé avec des réalisateurs qui scénarisent leurs films. C’est à travers le scénario que le dialogue entre nous commence.
Ensuite, j’ai besoin de garder le projet en vie, donc je parle aux autres acteurs, à l’équipe. C’est important pour moi que l’énergie qu’on peut avoir au quotidien se retranscrive dans le film. Parfois, si on perd cette énergie, ça s’étouffe. C’est électrisant d’arriver à passer de l’énergie qui provient des discussions autour d’un projet à l’énergie du jeu quand on tourne le film. J’aime garder les choses en mouvement. Comme dans la vie, avec les gens, quand je travaille.
Todd Haynes nous a aussi confié qu’il adorerait vous diriger au côté de Cate Blanchett ou de Kate Winslet, avec qui vous n’avez encore jamais tourné. Ça vous dirait ?
J’adore l’idée ! Vous plaisantez ? Ce sont des actrices extraordinaires, je serais ravie de travailler avec l’une ou l’autre. Et je suis toujours, toujours, toujours disponible pour Todd.
Depuis le début de votre carrière, vous jouez souvent des rôles de femmes fatales et d’autres de mères au foyer névrosées. Vous parvenez toujours à les jouer différemment. Comment vous faîtes, pour toujours faire comme si c’était la première fois ?
À mon sens, personne ne ressemble à personne. De la même manière, aucun rôle ne ressemble à un autre.
C’est ce qui me fascine autant avec les gens : comment est-ce possible que de nouvelles personnes naissent en continu et que tout le monde soit singulier ? On peut trouver des similitudes de langues, de cultures, mais vous trouverez toujours des différences de comportements humains. C’est la même chose avec les personnages. Je me pose toujours les mêmes questions mais les réponses sont différentes : qui est cette personne ? Qu’est-ce qu’elle dit ? Comment elle bouge ? Qu’est-ce qu’elle veut ? Elle voudra toujours quelque chose de différent que sa voisine. Je réfléchis toujours à mes rôles de manière très spécifique.
« Je me sens si libre, quand je travaille avec Todd Haynes »
En 2010, dans The Kids Are All Right de Lisa Cholodenko, vous incarniez une mère de famille lesbienne en crise, qui trompait sa partenaire (jouée par Annette Bening) avec un homme (incarné par Mark Ruffalo). La communauté queer l’avait mal pris à l’époque, alors que c’était une représentation inédite et, au fond, passionnante. Vous sentez-vous investie d’un devoir dans le fait de représenter les multiples nuances de la féminité ?
Je n’ai pas l’impression d’avoir un devoir, mais j’ai un véritable intérêt pour ça. Je suis intéressée par le fait d’être une personne, et une femme, et de devoir faire des choix, et parfois d’être dans la confusion. J’ai adoré le personnage de Jules parce qu’elle était justement perdue.
A mon sens, elle n’était pas confuse dans sa sexualité, mais plutôt à propos de son identité. Ses enfants étaient en train de grandir, elle ne savait pas trop quoi faire de sa vie personnelle et professionnelle. Elle était en plein flottement, quand soudain, cet homme surgit et elle se dit « Et pourquoi pas ? » Je crois qu’elle avait besoin de quelque chose pour la pousser.
Ce que j’ai adoré aussi dans ce personnage, c’est que ce soit quelqu’un qui fait une grosse erreur mais qui est capable de s’excuser ensuite. Je ne pense pas que les choses soient simples, de manière générale, pour les gens. Rien n’est tout noir ou tout blanc quand on fait des choix, et il y a un mélange de conscient et d’inconscient.
Quels sont vos 3 rôles préférés de votre carrière ?
C’est très difficile ! Je ne sais pas si je peux faire ça… Déjà, parce que j’ai tendance à oublier ce que j’ai fait. Quand quelqu’un me dit « Tu te souviens de ton rôle dans ce film ? » la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Je dirais que travailler pour Todd a toujours été absolument gratifiant. Je me sens si libre, quand je travaille avec lui. Au point que je ne dirais même pas un rôle en particulier dans son œuvre, mais l’expérience en général. Pouvoir créer quelque chose avec quelqu’un, de cette manière, c’est la chose la plus importante pour moi.
« J’aimerais travailler avec Justine Triet »
Est-ce que vous vous souvenez de votre première rencontre avec Todd Haynes ?
C’était pour l’audition de Safe [1995, ndlr]. J’avais lu le scénario et ça m’avait terrassée. Je n’avais jamais rien vu de tel, j’avais adoré. Je mourrais d’envie de passer le casting. J’étais d’ailleurs très surprise que les acteurs et actrices ne soient pas déjà trouvés. J’imaginais qu’une œuvre aussi fantastique aurait déjà une star en tête d’affiche. J’avais tellement envie du rôle, j’étais si nerveuse… Je me souviens du moment où je marchais pour aller à l’audition, il faisait très chaud, je portais un jean et un t-shirt blancs parce que je voulais que le personnage ait l’air neutre, presque vide.
Je me souviens de la gentillesse de Todd. On n’a pas trop parlé, il ne m’a pas donné de directions de jeu. J’avais une vision très précise et forte du personnage. Je me suis dit que s’il ne voyait pas son héroïne de la même manière que moi, c’est que je n’étais pas la bonne personne pour l’incarner. J’ai lu une scène, puis une autre, et encore une autre. Il a dit « okay », on s’est dit aurevoir, et voilà. C’est comme ça que j’ai décroché le rôle.
Vous avez une carrière extrêmement riche. Qu’est-ce qui vous fait encore rêver, avec quel(le) cinéaste vous aimeriez tourner pour la première fois ?
C’est drôle, parce que la personne avec qui je m’apprête à tourner, c’est Jesse Eisenberg. Et il se trouve que j’ai fait son premier film [When you finish saving the world, sorti en VOD en France en 2023, ndlr]. Il m’a envoyé son scénario, je l’ai trouvé génial, excitant. On ne sait jamais ce qui va nous parvenir. Je suis très enthousiaste à l’idée de retravailler avec lui. J’aimerais aussi travailler avec Justine Triet, qui est formidable. Et avec Lynne Ramsay, Chloe Zhao, Sean Baker… Tous ces gens qui font des films incroyables.
Pour finir, une question que l’on pose aux actrices et réalisatrices que l’on interviewe : quelle est votre scène de sexe préférée de tous les temps ?
Celle entre Donald Sutherland et Julie Christie dans Ne vous retournez pas [de Nicolas Roeg, 1974, ndlr]. Je suis sûre que c’est une réponse que tout le monde vous donne ! C’est une scène si intime, à tel point que ça permet de ressentir nous-même ce que les personnages ressentent l’un pour l’autre dans le film.
Retrouvez notre entretien vidéo en intégralité ci-dessous :